Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/424

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forces de travail, occuper ces bras habitués à pousser la charrue, et par eux, grâce au bas prix des salaires, faire une concurrence d’autant plus victorieuse aux métiers des villes que, n’étant pas soumis à leurs règlements, ils pourront fabriquer à leur aise autant qu’ils voudront, employer les procédés qui leurs seront agréables ou utiles, suivre les mouvements de la mode, écouler leurs produits où il leur plaira et conclure les contrats qui leur conviendront.

Ces aventuriers, car ils le sont au même titre que les mercatores du xiie siècle, sont favorisés par les transformations politiques autant que par l’impuissance des villes à maintenir leurs privilèges au milieu des progrès de la civilisation. Les princes, dont les besoins d’argent croissent sans cesse avec le prix coûtant des guerres, ont besoin d’eux. Il est plus commode de se servir de ces hommes d’affaires que de parlementer pour l’impôt avec des États généraux. Jusqu’ici les hommes d’affaires auprès des cours de Philippe le Bel, d’Édouard III ont été des Italiens. Mais les nationaux commencent à les remplacer. En Autriche, les Fugger obtiennent l’exploitation des mines d’argent du Tyrol, de Bohême, de Hongrie, et préparent là, en dehors des villes, les bases de leur fortune. En France, l’histoire de Jacques Cœur (1466) est particulièrement intéressante. Parti de rien, il s’associe à un consortium, parmi lequel un marchand ruiné, pour la frappe de la monnaie que Charles VII leur donne à bail. Les profits ne manquent pas. Tous les maîtres des monnaies sont des voleurs qui croient légitimes les gains qu’ils font sur la frappe comme aujourd’hui ceux des banquiers sur les emprunts d’État. En 1432, au courant du commerce des métaux, il se met à exporter de l’argent en Orient et à en importer de l’or sur lequel il fait en France d’énormes bénéfices. On le voit dès lors constamment augmenter ses affaires. Il prend à ferme les mines de métaux de la couronne en Lyonnais et en Beaujolais, où il fait venir des mineurs allemands. Il devient « argentier », ce qui lui lui donne l’approvisionnement de la cour à laquelle il avance des sommes considérables au taux de 12 à 50 %. Cependant, il augmente constamment ses affaires, soit par lui-même, soit associé à d’autres capitalistes. On estime à 300 ses factoreries répandues de Famagouste à Bruges et en Angleterre. On l’accuse de « ruiner les marchands honnêtes » c’est-à-dire sans doute de spéculer et d’accaparer. Son existence n’a plus rien de commun avec celle de ces « marchands honnêtes » fidèles à la tradition du Moyen Age. Il se fait construire un palais à Bourges, des maisons à Paris, Tours,