Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/430

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écarter ces mêmes étrangers auxquels on interdisait l’abord des lieux de production. Aussi, dès le début du xvie siècle, les marchands capitalistes d’Anvers entretiennent-ils à Cadix et surtout à Lisbonne des « facteurs » chargés d’acquérir les précieuses denrées. Le port de l’Escaut devient ainsi le grand entrepôt international des épices. C’est là seulement qu’elles deviennent matières de transactions commerciales et entrent dans la circulation. L’importance économique d’Anvers, on l’a vu plus haut, est antérieure à la période des découvertes. Mais l’afflux des richesses des Indes et du Nouveau Monde marque pour elle le point de départ d’une prospérité extraordinaire et qui dépasse bientôt celle de Venise à l’époque de sa plus grande splendeur. Jamais aucun port, à aucune époque, n’a joui d’une importance aussi universelle, parce qu’aucun n’a jamais été aussi ouvert à tous et, dans le sens complet du mot, aussi cosmopolite. Anvers reste fidèle à la liberté qui, au xve siècle déjà, avait fait le succès de ses foires. De toutes parts, elle attire et accueille les capitalistes auxquels elle offre, à mesure que leur nombre augmente, plus de facilités de faire fortune. Allemands, Anglais, Français, Portugais, Espagnols, Italiens, tous s’y précipitent et il n’est pas une grande maison de banque ou de commerce qui n’y soit représentée. La plus grande puissance financière du xvie siècle, celle des Fugger, a son siège à Augsburg, mais c’est sa succursale d’Anvers qui lui fait réaliser les bénéfices les plus brillants. Ce rendez-vous d’entrepreneurs, de marchands, de marins et d’aventuriers, devient le centre du monde des affaires. On ne peut imaginer de contraste plus frappant et plus complet avec l’organisation économique du Moyen Age. A Venise, les « forains » ne pouvaient acheter qu’aux Vénitiens ; à Bruges, ils devaient se servir d’un courtier appartenant à la bourgeoisie. Ici, rien de tel. Aucune surveillance, aucun contrôle : les étrangers trafiquent aussi librement entre eux qu’avec les bourgeois et les gens du pays. Dans leurs assemblées quotidiennes, l’offre et la demande se cherchent et se joignent sans intermédiaire. Les prix s’établissent, les procédés de crédit des compagnies commerciales se fondent en même temps que la spéculation commence à faire ses premières victimes. Depuis 1531, tout ce mouvement se concentre et se déploye à l’aise sous les galeries d’un bâtiment spécial construit aux frais de la ville, la Bourse, précurseur et modèle des bourses futures de Londres et d’Amsterdam.

Les grandes guerres du commencement du xvie siècle donnèrent