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noncé pour la toilette et pour les jouissances plus nobles de l’art, diffusion de l’instruction et de la politesse. On y distingue très clairement, au sein de l’aristocratie de naissance comme de l’aristocratie de l’argent, un genre d’existence mondaine qui n’a plus rien de commun avec la courtoisie conventionnelle du Moyen Age. Philippe le Bon, Charles le Téméraire protègent des artistes, s’entourent de peintres et de musiciens, fondent une bibliothèque dont les débris qui nous sont conservés attestent la splendeur. Le sire de la Gruuthuse se fait construire en 1465, à Bruges, un hôtel spacieux, avenant, habitation commode et large d’un grand seigneur qui est en même temps un amateur passionné de livres et le protecteur de Colard Mansion qui vient d’introduire dans la ville l’art de l’imprimerie. Le chancelier Rolin, le trésorier Bladelin commandent des tableaux à Van Eyck, à de la Pasture. Et il suffit de se rappeler les adorables paysages qui ont sûrement contribué au succès de l’école belge de peinture au xve siècle, pour se persuader que la découverte de la nature n’est pas du tout, à cette époque, une découverte purement italienne. On peut en dire autant de celle de l’homme. Le portrait individuel apparaît avec autant de vérité et est traité avec autant de conscience par le pinceau de Van Eyck et de la Pasture que par la plume de Chastellain et de Cominnes. Et avec ces deux derniers commence, je crois bien, la presse moderne, s’efforçant chez celui-là de se parer, encore qu’assez maladroitement, des prestiges du style, et nourrie chez celui-ci d’une pensée si forte que l’on ne peut guère trouver de pendant à ses Mémoires que Le Prince de Machiavel.

Cette « mondanité » de mœurs et de pensées qui s’observe autour de la cour de Bourgogne, se rencontre aussi, quoiqu’à un moindre degré, en France et en Angleterre. N’est-il pas frappant que la première maîtresse d’un roi de France dont l’histoire ait conservé le nom, soit Agnès Sorel ? On ne croira pas sans doute que les rois du Moyen Age n’aient pas eu de maîtresses. Édouard Ier donne un fief à charge de custodiendi Domino Regi sex damisellas scil. meretrices ad usum Domini Regis. Mais avec Agnès, la favorite du roi se montre en public et est devenue autre chose qu’une meretrix. Je veux bien que ce ne soit pas la marque d’un progrès des mœurs, mais c’est la preuve justement que leur relâchement va avec leur affinement. En Angleterre, le duc de Glocester (le mari de Jacqueline) fait scandale par la galanterie de ses mœurs, mais s’attire aussi l’admiration des lettrés par sa bibliothèque qu’il a