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teaux gothiques que l’on reconstruit en style du jour. Ce n’est qu’en Espagne qu’il tient bon, la Renaissance n’y affecte que la forme mais laisse subsister l’esprit catholique.

Partout ailleurs, dans les vingt années qui s’écoulent de la fin du xve siècle à l’apparition du protestantisme[1], il semble qu’un nouveau monde soit sur le point de naître. Tout ce qui est fort et jeune et vigoureux se retourne contre le passe. Jamais peut-être les autorités sociales n’ont aussi unanimement secondé un mouvement d’idées. Il semble qu’il n’y ait plus parmi elles de conservateurs. Tout pousse dans le même sens : le pouvoir, le monde, la mode, les hommes politiques, les femmes, les artistes, les humanistes. C’est une fièvre, une joie, une confiance sans bornes. C’est l’affranchissement de l’autorité, le vagabondage au grand air, la disparition du monopole de la science et sa dispensation à la société. Et cette science qui s’écoule de la pure Antiquité est d’autant plus séduisante qu’elle se présente avec la beauté, qu’elle se confond pour ainsi dire avec elle.

Cet espèce de patriotisme romain qui a contribué pour sa part au succès de la Renaissance en Italie, n’existe pas dans le nord. L’Antiquité y est plus purement considérée en elle-même, comme source de beauté et de sagesse. Peut-être, avec moins d’affection, y inspire-t-elle plus de respect. Et puis, on sent mieux sa force libératrice, car la scolastique n’avait pas eu en Italie une prédominance aussi grande qu’en deçà des Alpes. Aussi est-elle en France, en Angleterre, en Allemagne beaucoup plus agressive qu’en Italie. En s’appropriant le latin classique, les humanistes du sud veulent seulement continuer les anciens ; ceux du nord sont heureux d’indiquer par là leur rupture avec les magistri nostri. La barbarie qu’ils reprochent bien à tort au latin universitaire et scolastique — oubliant qu’il est une langue scientifique artificielle et parfaitement appropriée à son but — leur paraît trahir la barbarie, la grossièreté, l’absurdité des idées qu’il exprime. Ils n’entreprennent pas d’ailleurs d’attaquer la philosophie du Moyen Age ; ils se bornent à la mépriser. Pour eux, tout est à refaire. Il faut reconstruire la théologie en partant de l’étude des textes sacrés. La grande œuvre d’Érasme est une édition grecque du Nouveau Testament avec traduction latine et paraphrase. Quant à la morale, sur la base chrétienne, elle doit être refaite et appropriée aux nécessités de la vie laïque.

  1. Affichage des thèses de Luther en 1517.