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honneur de protéger les arts. D’autres, occupés de politique, résident plus à la cour que dans leurs diocèses. Presque tous mènent large et joyeuse vie, chassent, boivent et se divertissent. Naturellement, les chapitres ne valent pas mieux. En règle générale, leurs prébendes sont réservées à des cadets de famille dont plusieurs ne prennent pas même les ordres, ne portent pas le costume ecclésiastique, assistent à peine aux offices et entretiennent publiquement des concubines. Les curés de paroisses se contentent le plus souvent de percevoir les revenus de leur cure qu’ils font administrer par un desservant réduit à la portion congrue, ayant à peine de quoi subsister, méprisé de ses paroissiens à cause de sa misère et obligé pour vivre de faire argent de tout et d’exploiter âprement naissances, mariages et décès. Quant aux monastères, leur décadence est d’autant plus lamentable que l’on est en droit d’exiger d’eux plus de ferveur, plus d’austérité ou plus de science. Au commencement du xvie siècle, on peut affirmer qu’ils végètent tous dans la routine et l’application machinale de leurs règles. Les âmes vraiment pieuses qui y cherchent encore un refuge, s’y trouvent mal à l’aise au milieu de compagnons complètement dépourvus d’idéal et ne demandant au cloître qu’une vie tranquille, commode et assurée. Seuls les Dominicains développent encore une certaine activité. Mais l’œuvre de la scolastique étant achevée, il ne leur reste que le domaine inquisitorial à exploiter et, faute d’hérésies à combattre, ils cultivent avec ardeur la démonologie. Deux d’entre eux, publient à Strasbourg en 1487 le Malleus Maleficarum, traité abominable des méfaits et des turpitudes des sorcières.

Un tel clergé devait révolter l’opinion. Le contraste était trop éclatant entre sa conduite et la considération qu’il réclamait, les privilèges dont il jouissait et les revenus dont il disposait. L’aristocratie le méprisa pour sa grossièreté et son ignorance ; les bourgeois s’indignèrent de ses immunités financières ou judiciaires. Déjà les gouvernements commencent à prendre des mesures contre l’augmentation des terres de mainmorte et l’intervention des tribunaux d’Église en matière civile.

Pourtant la foi reste intacte. Depuis le xiie siècle, il semble bien qu’il n’y ait jamais eu aussi peu d’hérétiques que durant les cinquante années qui ont précédé le protestantisme. Le wyclifisme en Angleterre, le hussitisme en Bohême sont presque éteints. Mais cela justement est une preuve de la tiédeur religieuse des âmes.