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à son jugement. La Lettre à la noblesse allemande, les petits traités intitulés La captivité de Babylone de l’Église et La liberté du chrétien, tous publiés en 1520, sont, si l’on peut ainsi dire, des brochures de propagande et le succès en fut prodigieux. Jusqu’alors c’est par la prédication et l’apostolat que les doctrines des adversaires de l’Église s’étaient répandues dans les masses. Le luthéranisme s’est imposé par la lettre moulée et l’on peut voir dans la rapidité de sa diffusion la première manifestation de la puissance de la presse.

A mesure que Luther combat, sa pensée se précise et s’enhardit. Le débat sur les indulgences se transforme presque tout de suite en une attaque contre la papauté, puis contre toute l’organisation traditionnelle de l’Église. En 1518, il n’est encore question que d’en appeler du pape au concile. Mais déjà l’année suivante la papauté est proclamée d’origine purement humaine, le concile lui-même capable d’erreur et l’écriture seule infaillible. En 1520, le pas décisif est fait : la justification du chrétien se trouve dans la foi, non dans les œuvres ; la croyance au Christ fait de tout chrétien un prêtre ; la messe ainsi que les sacrements, sauf le baptême, l’eucharistie et la pénitence, sont rejetés ; le clergé n’a aucun droit que ne possède point la société laïque ; il est comme celle-ci soumis au pouvoir du glaive séculier dont l’autorité s’étend sur l’Église comme sur l’État.

Luther ne fait que s’avancer plus loin dans la voie qu’avaient ouverte avant lui Wyclif et Jean Hus. Sa théologie continue la théologie dissidente du Moyen Age : ses ancêtres sont les grands hérétiques du xive siècle ; il n’est en rien influencé par l’esprit de la Renaissance. Sa doctrine de la justification par la foi est apparentée au mysticisme, et si, comme les humanistes encore que pour des motifs bien différents des leurs, il condamne le célibat et la vie ascétique, il se place en opposition complète avec eux en sacrifiant complètement à la foi le libre arbitre et la raison.

Pourtant, les humanistes n’ont pas laissé d’applaudir ses bruyants débuts, applaudissements discrets, il est vrai, de gens désireux de ne pas se compromettre, un peu inquiets d’ailleurs de tant de violence, mais enchantés des rudes coups portés aux moines et aux scolastiques et comptant bien qu’après ces grands éclats on écoutera plus volontiers leur modération et leur sagesse. Partout où leur esprit domine, le luthéranisme naissant ne rencontre que sympathie : il en est ainsi dans les Pays-Bas à la cour de Marguerite d’Autriche, en France à celle de François Ier. Quant à l’Allemagne,