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celles des paysans. Ils acceptèrent le combat. Le 15 mai 1526, ils étaient taillés en pièces à Frankenhausen. Les vainqueurs furent d’autant plus impitoyables qu’ils avaient été plus épouvantés. Ils assouvirent longuement leur haine sur ce peuple qui venait de les braver. Le joug retomba sur les paysans, plus lourd que jamais. Ils devaient le porter désormais avec une docilité résignée jusqu’au commencement du xixe siècle.

La crise de l’anabaptisme marque mieux encore le désarroi religieux auquel la disparition trop brusque de l’autorité ecclésiastique abandonna les âmes populaires. Prenant à la lettre la prédication luthérienne, les premiers anabaptistes qui apparaissent en Suisse dès avant 1525, prétendirent soumettre, non seulement leur foi, mais la société même aux enseignements du livre saint. Puisqu’il contenait la parole de Dieu, il fallait s’y conformer rigoureusement. Qu’était-il besoin d’Église et d’État ? L’observation de la Bible devait suffire au salut des âmes comme aux rapports entre les hommes. Les vieilles hérésies du Moyen Age ne pouvaient manquer de mêler leurs doctrines à l’interprétation de l’écriture. Le manichéisme populaire, fondé sur l’opposition de la chair et de l’esprit, n’avait jamais complètement disparu depuis les Albigeois. Il se ranima, mêlé à des visions apocalyptiques et à des tendances mystiques qui s’étaient si largement répandues depuis le xive siècle. Les justes se croient appelés à faire un monde nouveau où tout sera fraternellement mis en commun, les biens comme les femmes. Ces rêverie trouvèrent accès très facilement dans les couches inférieures des populations urbaines, parmi les compagnons des métiers et les ouvriers salariés de l’industrie capitaliste à ses débuts. Se propageant de proche en proche parmi les travailleurs manuels, elles atteignirent rapidement les Pays-Bas où l’industrie plus active que partout ailleurs lui préparait admirablement le terrain. On ne s’étonnera point que ses adeptes aient été traqués férocement par les pouvoirs publics. Catholiques et luthériens rivalisèrent de férocité contre cette hérésie si révolutionnaire. La persécution ne fit d’ailleurs qu’aggraver le péril. D’utopique qu’il avait été jusqu’alors, l’anabaptisme devint une doctrine de haine et de combat. Les pauvres gens n’attendent plus seulement de lui la délivrance, mais la vengeance. Beaucoup d’entre eux paraissent avoir été de véritables hallucinés aussi prêts à mourir pour leur foi qu’à y sacrifier sans pitié le reste du monde. Vers 1530, une espèce de délire mystico-social semble s’être emparé de la Hollande. Presque tout le bas