Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple des villes y est en proie. Dans certaines d’entre elles on estime que les deux tiers des habitants sont infectés et les massacres, les condamnations sommaires, les noyades, la mise hors la loi de tous ceux qui adhèrent à la secte ne parviennent pas à en arrêter les progrès. C’est d’Amsterdam et de ses environs que partent en 1534 les prophètes qui, profitant d’une révolte de la ville de Munster contre son évêque, vont y établir le « Royaume de Dieu ». A aucun autre moment de l’histoire peut-être ne s’est révélé d’une manière aussi frappante jusqu’où la passion, l’illusion religieuse et l’espoir de réaliser la justice sociale peuvent entraîner les masses populaires. Pendant douze mois, bloqués par les troupes des princes du voisinage, protestants et catholiques, les anabaptistes de Munster organisèrent avec une espèce de folie leur « Nouvelle Jérusalem ». La polygamie et le communisme y furent institués et pratiqués par toute la population. Une utopie mystique et socialiste devint pour un moment une réalité. L’assaut donné à la ville le 24 juin 1535 termina par un bain de sang cet accès de folie collective. Ce n’est que de nos jours qu’ont été descendues de la tour de la cathédrale les cages de fer qui ont longtemps balancé au souffle du vent les os calcinés du prophète Jean de Leyde et du bourgmestre Knipperdalling. La prise de Munster mit fin à la crise violente de l’anabaptisme, mais elle ne le fit pas disparaître. Jusque vers la fin du xvie siècle, ses tendances révolutionnaires se conservèrent au sein du peuple comme le catharisme s’y était conservé après la grande persécution du xiiie siècle. Mais chez la plupart de ses adhérents, il en revint à la simplicité évangélique de ses débuts, et c’est dans cet esprit qu’il s’est perpétué jusqu’à nos jours au sein du monde protestant d’Europe et d’Amérique.

La guerre des paysans et l’anabaptisme eurent pour résultat de détourner de Luther les humanistes et les érasmiens qui, épouvantés de tant de violences, se rejetèrent vers l’Église. Luther n’était pas moins effrayé. Il avait violemment attaqué les révoltés et applaudi sans pitié à leurs défaites. C’en fut fait désormais des tendances populaires qu’il avait montrées au début. Le seul moyen d’assurer le salut de la Réforme lui parut être de la placer sous la protection et la direction des princes. Les connaissant, il ne pouvait ignorer que la tiédeur religieuse était générale parmi eux. Sauf les ducs de Bavière aussi fermement catholiques que les Habsbourg, les -autres étaient tout disposés à conformer leur foi à leurs intérêts. On ne rencontre chez aucun d’entre eux la moindre trace d’idéa-