Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 452 —

Mais avec elle, le fait devient le droit ; le protestantisme obtient sa place au soleil et son avenir est assuré. La majestueuse unité chrétienne est officiellement rompue. L’Église, pour ne s’être pas réformée assez tôt, voit s’élever une Église rivale. Elle avait jusqu’ici impitoyablement écrasé l’hérésie, et la voici forcée d’en souffrir la présence. C’est que le pouvoir séculier, cessant de combattre pour elle, a passé lui-même à l’hérésie. Non seulement il la reconnaît comme la vérité religieuse, mais il profite encore du besoin qu’elle a de sa protection pour lui imposer une organisation ecclésiastique dont il est le maître. Avec le luthéranisme, c’est bien plus en effet que la religion d’État, c’est l’Église d’État qui apparaît. L’État qui nomme, qui forme, et qui surveille le clergé, bénéficie désormais de la force immense qu’il exerce sur les âmes. Par lui, il possédera et donnera l’enseignement qui lui avait jusqu’alors échappé. Dès le xviie siècle, il rendra l’école obligatoire et ses attributions s’étendront, on devine avec quel profit pour lui, à la formation et à la direction des idées.

L’obéissance au prince sera enseignée aussi efficacement par les pasteurs que l’obéissance au pape par les Jésuites. La puissance civile bénéficiera de tous les progrès que fera la foi nouvelle à mesure qu’elle imprégnera davantage les esprits. La discipline, le respect de l’autorité, la confiance dans le pouvoir sont autant de caractères qu’elle a transmis à l’Allemagne moderne. C’est elle finalement qui devait rendre possible un État tel que la Prusse, c’est-à-dire un État où se rencontrent les vertus du sujet, du fonctionnaire et du militaire mais où l’on cherche vainement celles du citoyen.

II. — Extension de la Réforme. Le Calvinisme

On ne pourrait peut-être pas trouver d’exemple plus propre à faire apprécier à sa valeur exacte le rôle des « héros »historiques, que celui de Luther. Si grande qu’il faille faire sa part dans le succès de la Réforme, ce succès s’explique avant tout par la situation morale et politique de l’Allemagne au commencement du xvie siècle. C’est parce que les temps étaient révolus que la dispute sur les indulgences s’est transformée presque tout de suite en une révolution religieuse. Cinquante ans plus tôt, le même homme, avec la même conviction, la même fougue, la même éloquence y eût tout au plus intéressé quelques théologiens de sa province et le silence