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de publier en 1536 l’Institution chrétienne. L’occasion s’offrait à lui d’en appliquer les principes au sein de la jeune république toute frémissante de sa victoire. Couverte sur ses derrières par les cantons suisses, protégée contre un retour offensif de la Savoie par la politique française, Genève n’avait rien à craindre pour son indépendance et pouvait en sécurité instituer dans ses murs le gouvernement théocratique qui devait être la plus haute ou, pour mieux dire, la seule application du calvinisme pur, et contribuer si puissamment à le répandre par le monde. Elle fut pour lui la « ville sainte » que les anabaptistes, dix ans plus tôt, dans leurs rêveries mystiques, avaient espéré un moment de fonder à Munster.

On sait suffisamment que le dogme cardinal du calvinisme consiste dans la prédestination. Le salut dépend uniquement de la volonté divine et les élus, de toute éternité, sont désignés par elle. L’Église consiste dans la réunion de ces élus. Mais comme il est impossible de savoir si on a été choisi par la grâce, le devoir de chacun est, si l’on peut ainsi dire, de se le prouver à soi-même en se dévouant de toutes ses forces au service de Dieu. La prédestination calviniste, au lieu de pousser au quiétisme, pousse donc à l’action. Elle y pousse d’autant plus que Dieu n’est pas conçu comme un père, mais comme un maître dont la parole, révélée par l’écriture, est la loi suprême. Toute la vie doit lui être soumise et l’État n’est légitime que pour autant qu’il la respecte. Tandis que Luther renferme la religion dans le domaine de la conscience et laisse le pouvoir temporel organiser l’Église et régler à sa guise les intérêts politiques, Calvin soumet à la théologie toutes les actions humaines. Il est aussi universel, aussi absolu que l’Église catholique. Je dirais volontiers qu’il l’est davantage. Car enfin l’Église reconnaît au « glaive temporel » sa mission propre à côté de celle qui est dévolue au « glaive spirituel ». L’un régit les corps, l’autre les âmes, et le premier n’est subordonné au second que dans les questions de foi. Pour Calvin, au contraire, l’État, voulu par Dieu, doit être transformé en instrument de la volonté divine. Il n’est pas subordonné au clergé, en ce sens qu’il existe indépendamment de lui, qu’il ne tient pas de lui son pouvoir, mais il n’agit conformément au but pour lequel il est créé qu’en s’associant intimement au clergé pour faire triompher ici-bas les ordres du Très Haut, pour combattre tout ce qui s’y oppose ou tout ce qui insulte à sa Majesté : le vice, l’hérésie, l’idolâtrie, et plus particulièrement l’idolâtrie romaine, la plus abominable de toutes. Un tel système d’idées, s’il est appli-