Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 464 —

au fond d’une cour, dans quelque endroit écarté de la banlieue. Parfois, c’est au milieu d’un repas dans une maison amie qu’ils exercent leur mission, cherchant à convertir les convives par des conversations édifiantes, et leur distribuant des livres et des cantiques. S’ils sont surpris, ils n’ont point de pardon à attendre, et ils le savent. Mais leur voix qui s’élève encore du milieu des flammes et de la fumée du bûcher répand dans les âmes cette foi pour laquelle ils meurent. Bientôt les bourreaux effrayés leur mettront un bâillon dans la bouche en les conduisant au supplice. Il faut remonter jusqu’aux origines du christianisme pour retrouver une telle constance et un tel courage. Et comme aux commencements du christianisme, les derniers moments de ces martyrs sont pieusement racontés dans des récits populaires qui, propagés par l’imprimerie, deviennent aussitôt le plus efficace des moyens de propagande. D’autre part, en traquant les fidèles, la persécution répand au loin l’incendie qu’elle veut éteindre. En France, dans les Pays-Bas, les réfugiés le transportent de province en province. D’autres émigrent en Angleterre et en Écosse. A l’Orient de l’Europe, la Pologne et la Hongrie sont aussi travaillées par les ministres et en peu de temps des communautés réformées s’y constituent dans presque toutes les villes.

Ainsi le calvinisme se distingue par le caractère international de son expansion. Ni la diversité des langues, ni celle des mœurs ou des régimes politiques ne lui font obstacle. L’organisation ecclésiastique dont il dispose lui communique une force de pénétration et une indépendance d’allures que l’on chercherait vainement chez le luthéranisme. Au lieu de se soumettre comme celui-ci à la tutelle et au patronage des princes, il ne compte que sur lui-même. Il ne demande pas plus de protection qu’il ne craint la lutte. Partout où il paraît, il affirme hautement ses dogmes, prend hardiment l’offensive, et son radicalisme ne tolère aucun compromis. Entre lui et les sectateurs de l’« idolâtrie romaine », de la « prostituée de Babylone », il n’est point de conciliation possible. Il faut être pour lui ou contre lui. A l’intolérance catholique, il répond par une intolérance égale. A la persécution, il répondra bientôt par des révoltes, et la violence de ses allures, l’audace de ses provocations, l’outrance et l’aigreur de sa polémique irritent et blessent ceux-là mêmes que leur tiédeur religieuse n’aurait pas soulevés contre lui. La querelle qu’il déchaîne prend pour chacun un caractère personnel ; elle fomente la haine au fond des cœurs et doit aboutir finalement à la guerre civile.