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CHARMIDE

fort naturelle : car je ne vois personne ici qui puisse montrer dans sa double ascendance athénienne une réunion d’ancêtres capables de laisser à leur rejeton un héritage de mérite et de beauté supérieur à celui que les tiens t’ont laissé. Votre maison paternelle, celle de Critias fils de Dropidès, fut célébrée, nous le savons, par Anacréon, par Solon et par d’autres poètes, pour sa beauté, pour sa vertu, pour tous les avantages qui distinguent ceux qu’on appelle les heureux[1]. Du côté de ta mère, il en est de même : Pyrilampe, ton oncle maternel, a passé pour l’homme le plus beau et le plus grand de la Grèce[2] dans toutes ses ambassades auprès du grand-Roi et ailleurs, et au total cette seconde lignée est digne de la première. Étant né de tels ancêtres, tu ne pouvais manquer d’être le premier en tout. Pour ce qui est de la beauté visible, cher enfant de Glaucon, j’ose dire que tu ne le cèdes en rien à ceux qui t’ont précédé. S’il est vrai, comme le dit Critias, que tu n’es pas moins bien partagé du côté de la sagesse et des autres vertus, ta mère a mis au monde un fils privilégié.

Voici donc la question. Si la sagesse réside déjà dans ton âme, comme l’affirme Critias, et si tu en as une provision suffisante, tu n’as nul besoin des incantations de Zalmoxis ni de celles d’Abaris l’Hyperboréen[3], et je puis te donner sans délai le remède pour la tête ; s’il te reste au contraire quelque chose à désirer à cet égard, l’incantation doit précéder le remède. Donne-moi ton opinion personnelle à ce sujet ; dis-moi si tu partages son avis et si tu te crois suffisamment pourvu de sagesse, ou si tu penses le contraire. »

— Charmide rougit d’abord et n’en parut que plus charmant, car cette timidité convenait à son âge. Ensuite, non

  1. Le mot grec εὐδαιμονία implique l’idée d’une faveur divine. Il reste deux vers seulement de l’élégie de Solon sur Critias.
  2. Pyrilampe, fils d’Antiphon, est mentionné par Plutarque comme un ami de Périclès (Péricl. 13). On le surnommait l’Oiseleur (ὀρνιθοτρόφος) à cause de ses paons, qu’il avait sans doute rapportés de Perse. Il épousa en secondes noces Perictioné, la mère de Platon.
  3. Abaris est un personnage à demi légendaire, une sorte de thaumaturge à qui l’on attribuait, entre autres ouvrages, un poème sur Apollon chez les Hyperboréens. Il était prêtre d’Apollon, suivant Hérodote (iv, 36). On racontait qu’il avait voyagé par toute la terre