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CHARMIDE

que les artisans, en s’occupant des affaires des autres, pouvaient être sages ? » — « Sans doute ; quelle conclusion tires-tu de là ? » — « Aucune ; mais dis-moi : le médecin, quand il guérit son malade, fait-il, selon toi, chose utile à lui-même en même temps qu’à son malade ? » — « Certainement. » — « Celui qui agit ainsi ne fait-il pas son devoir ? » — « Oui. » — « L’homme qui fait son devoir n’est-il pas sage ? » — « C’est évident. » — « Or le médecin sait-il nécessairement quand son remède est utile et quand il ne l’est pas ? Et de même chaque artisan, s’il doit tirer profit de son travail, ou non ? » — « Peut-être l’ignore-t-il. » — « Ainsi, repris-je, le médecin, que son remède réussisse ou non, peut avoir agi parfois sans savoir ce qu’il faisait ? Cependant, s’il réussit, tu l’appelles sage. N’est-ce point ce que tu disais ? » — « Oui. » — « Par conséquent, si je ne me trompe, quand il guérit son malade, il agit sagement et il est sage, mais sans savoir qu’il l’est ? »


Nouvelle définition proposée par Critias : se connaître soi-même.

— « C’est impossible, Socrate, et si tu penses qu’on puisse tirer une pareille conclusion de mes déclarations antérieures, je suis prêt à les retirer ; je rougirais moins d’avouer mon erreur que d’accorder qu’on puisse être sage sans le savoir : car, pour mon compte, je définirais volontiers la sagesse la connaissance de soi-même, d’accord avec l’auteur de l’inscription de Delphes[1]. Cette inscription, en effet, me semble être la parole de bienvenue que le dieu adresse aux arrivants, à la place du salut ordinaire « réjouis-toi », trouvant sans doute cette dernière formule déplacée et jugeant que nous devons nous inviter les uns les autres non à nous réjouir, mais à être sages. De cette façon, le dieu adresse aux arrivants un salut bien supérieur à celui des hommes, et c’est

  1. La célèbre inscription de Delphes, qui a prêté à tant de commentaires, paraît bien avoir eu un sens plus religieux que psychologique et signifiait probablement : « Connais ta condition mortelle » ; en d’autres termes : « Souviens-toi de ta faiblesse et redoute la démesure (ὕβρις). » L’homme, en effet, qui oublie sa condition pèche contre la loi divine et encourt par cela même la colère des dieux : il s’expose à la Némésis.