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LACHÈS

Nicias. — Tout à fait.

Socrate. — Voilà qui est entendu : sur ce point, nulle dissidence ; maintenant, sur le redoutable et son contraire, faisons en sorte que tu n’aies pas une opinion et nous une autre. Je vais t’exposer notre opinion ; tu nous diras si tu l’acceptes. Nous appelons redoutables les choses qui inspirent de la crainte, rassurantes celles qui n’en inspirent pas. Or ce qui inspire de la crainte, ce n’est ni le mal passé ni le mal présent, c’est le mal à venir, attendu que la crainte est l’attente d’un mal futur. N’est-ce point ton avis, Lachès ?

Lachès. — Entièrement, Socrate.

Socrate. — Tu entends, Nicias, quelle est notre thèse : nous appelons choses redoutables les maux futurs, et choses rassurantes celles qui, si elles arrivent, ne sont pas un mal ou sont un bien. Admets-tu ou rejettes-tu cette proposition ?

Nicias. — Je l’accepte pleinement.

Socrate. — Et c’est la connaissance de ces choses que tu appelles courage ?

Nicias. — Parfaitement.

Socrate. — Il reste un troisième point sur lequel nous avons à voir si nous sommes d’accord.

Nicias. — Lequel ?

Socrate. — Je vais te le dire. Il nous semble, à Lachès et à moi, que la science, dans la diversité de ses applications, n’est pas différente selon qu’elle se rapporte au passé pour savoir ce qu’il a été, au présent pour savoir ce qu’il est, à l’avenir pour savoir comment il se réalisera le plus favorablement, mais qu’elle est toujours identique à elle-même[1]. En ce qui concerne la santé, par exemple, la médecine, unique pour tous les temps, ne change pas suivant qu’elle considère ce qui se passe maintenant, ce qui s’est passé jadis, ou ce qui se passera plus tard. Pour ce qui regarde les productions de la

  1. Ce caractère universel de la vérité scientifique est l’argument invoqué par Socrate dans l’Hippias majeur contre une définition du beau qui ne tenait pas compte des exemples du passé et qui ne pouvait s’appliquer notamment à certains héros. Cf. Hippias majeur, p. 291 e, et suiv. La vérité scientifique est universelle parce qu’elle s’appuie sur des idées générales, selon Socrate, donc exempte de toute contingence.