Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
341 d
61
PROTAGORAS

est mauvais, mais ce qui n’est pas aisé et ce qui ne se fait qu’avec beaucoup de peine. » — « Moi aussi, Protagoras, repris-je, j’estime que c’est bien là ce que Simonide a voulu dire, et je crois que Prodicos aussi le sait parfaitement, mais qu’il plaisante et qu’il te met à l’épreuve pour voir si tu sauras défendre ta propre thèse. Quant à Simonide, la preuve manifeste qu’il ne prend pas « difficile » au sens de « mauvais », c’est ce qui vient immédiatement après, quand il dit :

Un dieu seul peut avoir ce privilège.

« Ce n’est pas après avoir déclaré qu’il est mauvais d’être bon, qu’il dirait que cela n’est donné qu’à un dieu et qu’il en ferait un privilège exclusif de la divinité : à ce compte, Prodicos nous représenterait Simonide comme un impudent, qui n’aurait rien de Céos. Quelle est, selon moi, la vraie pensée de Simonide dans ce poème, je suis prêt à te l’expliquer, si tu désires me mettre à l’épreuve en ce que tu appelais tout à l’heure l’intelligence de la poésie. Mais si tu le préfères, je suis prêt à t’écouter. » — À ces mots, Protagoras répondit : « Parle, Socrate, si cela te fait plaisir. » — Prodicos et Hippias l’appuyèrent, ainsi que tous les autres.


Explication de Simonide par Socrate.

« Je vais donc essayer, repris-je, de vous exposer comment j’entends le poème[1].

« L’amour de la science est plus ancien et plus répandu en Crète et à Lacédémone qu’en aucun autre pays de la Grèce, et c’est là qu’il y a le plus de sophistes. Mais ces peuples le nient et feignent d’être ignorants ; pour ne pas laisser voir qu’ils sont les plus savants des Grecs, ils font comme les sophistes dont parlait Protagoras, et ils veulent qu’on les croie supérieurs seulement par la guerre et par le courage, de peur que les autres peuples, venant à connaître leur vraie supériorité, ne s’adonnent tous à ce même exercice, la science. Grâce à cette dissimulation, ils trompent les laconisants des autres cités, qui, pour les imiter, se déchirent les oreilles, s’entourent les jambes de cuir, courent

  1. Tout ce morceau, ironiquement paradoxal, est comme une réplique à la tirade de Protagoras sur la haute antiquité de la sophistique (316 d sqq.). — En ce qui concerne Lacédémone, cf. Lachès 182 e, et Hippias Majeur 283 b sqq.