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PROTAGORAS

les gymnases et portent des manteaux courts, dans la pensée que ce sont ces moyens-là qui ont fait des Lacédémoniens les premiers des Grecs. Mais les Lacédémoniens, quand ils veulent causer librement avec leurs sophistes et qu’ils sont las de se cacher, expulsent de leur pays ces prétendus laconisants et tous les étrangers qui s’y trouvent, de manière à pouvoir causer avec les sophistes sans qu’on s’en doute ; de plus, ils ne permettent à aucun de leurs jeunes gens d’aller à l’étranger, et les Crétois font de même, de peur qu’ils n’y gâtent l’enseignement reçu chez eux. Chez ces peuples, on voit non seulement des hommes, mais aussi des femmes qui ont la fierté de leur éducation.

« Voici d’ailleurs la preuve que je dis la vérité et que l’éducation lacédémonienne donne des fruits excellents en matière de science et de discours : si l’on engage une conversation avec le plus ordinaire des Lacédémoniens, on le trouve d’abord, sur la plupart des sujets, discoureur assez médiocre, mais ensuite, au cours de l’entretien, il lance à l’improviste un mot frappant, bref et plein de sens, comme un habile archer, si bien que son interlocuteur a l’air d’un enfant à côté de lui.

« Beaucoup d’observateurs, dans le passé comme de nos jours, ont compris que laconiser consistait bien moins à cultiver la gymnastique que la philosophie, se rendant compte que prononcer des mots de cette sorte ne pouvait être que le fait d’un homme parfaitement élevé. De ce nombre furent Thalès de Milet, Pittacos de Mitylène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Chénée, et un septième, dit-on, Chilon de Lacédémone[1]. Tous ces hommes furent des admirateurs passionnés et des disciples de l’éducation lacédémonienne ; et ce qui prouve bien que leur science était de même sorte, ce sont les mots brefs et mémorables prononcés par chacun d’eux lorsque, s’étant réunis à Delphes, ils voulurent offrir à Apollon, dans son temple, les prémices

  1. La liste des Sept Sages est quelque peu flottante, et Platon substitue ici Myson à Périandre de Corinthe. Mais les personnages que la légende y a fait entrer ont comme trait commun d’être des maîtres de sagesse pratique (plusieurs avaient été des hommes d’état) ; leur groupement est surtout intéressant comme signe de l’esprit positif et réaliste qui apparaît au vie siècle.