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PROTAGORAS

tiens, » dit-il. — « Cependant, repris-je, les audacieux dont nous parlions à l’instant te paraissent fous, et non courageux ? Et, d’autre part, les habiles te paraissaient tout à l’heure en même temps très audacieux, donc aussi très courageux en tant que très audacieux ? À raisonner ainsi, l’habileté serait identique au courage. »


Protagoras définit sa thèse, qu’il trouve mal interprétée par Socrate.

— « Tu reproduis inexactement, Socrate, ce que j’ai dit en réponse à tes questions. Tu m’as demandé si les courageux étaient les audacieux : j’ai répondu affirmativement ; mais tu ne m’as pas demandé si les audacieux étaient en même temps courageux. Si tu me l’avais demandé, je t’aurais répondu qu’ils ne le sont pas tous. Quant à ce que j’avais affirmé, tu n’as pas démontré que j’eusse tort et que tous les courageux ne fussent pas audacieux.

« Après cela, tu établis que ceux qui savent deviennent par l’effet de leur habileté plus audacieux qu’avant et plus que les malhabiles, et tu en conclus que le courage est identique au savoir. À raisonner de la sorte, tu pourrais ramener aussi la force à l’habileté. Tu commencerais ton argumentation en me demandant si les forts sont puissants, et je te répondrais qu’ils le sont : ensuite, si ceux qui ont appris l’art de la lutte y sont plus puissants que les ignorants et qu’eux-mêmes lorsqu’ils ne savaient pas, et je répondrais encore affirmativement ; t’appuyant alors sur mes déclarations, il te serait loisible, par des raisonnements du même genre, de dire que, de mon propre aveu, la force est identique à l’habileté.

« Mais, dans ce cas non plus, je n’accorde nullement, quant à moi, que les puissants soient forts, bien que je reconnaisse que les forts sont puissants : loin de considérer la puissance et la force comme une seule et même chose, j’estime que la puissance est un effet du savoir, parfois aussi de la folie et de la passion, tandis que la force résulte de la nature et d’un corps bien nourri.

« De même, dans le cas présent, je ne considère pas l’audace et le courage comme identiques, de sorte qu’il peut se faire que tous les courageux soient audacieux sans pourtant que tous les audacieux soient courageux : l’audace, en effet,