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PROTAGORAS

propre ; ce n’est pas de cela que je veux parler, mais de ce qu’il a dit ensuite. — Il a dit, en effet, un peu après, que quatre de ces parties de la vertu avaient entre elles quelque ressemblance, mais que la dernière, le courage, était tout à fait différente, et que je pouvais m’en convaincre par la preuve suivante. Tu trouveras, Socrate, disait-il, beaucoup d’hommes très impies, très injustes, très intempérants et très ignorants, qui n’en sont pas moins très courageux : preuve évidente qu’il y a une forte différence entre le courage et les autres parties de la vertu. Sur quoi je m’étonnai tout d’abord très vivement de cette réponse, et je m’en étonne plus encore après tout l’entretien que je viens d’avoir avec vous.

« Je lui demandai donc si les courageux, selon lui, étaient des gens hardis : Oui me dit-il, et mieux encore, des risque-tout. Tu te souviens, Protagoras, de ta réponse ? » — Il dit qu’il s’en souvenait. — « Eh bien, repris-je, dis-moi quels sont les risques que les courageux affrontent ? Sont-ce les mêmes que les lâches ? » — « Nullement. » — « Ce sont donc d’autres risques ? » — « Oui. » — « N’est-il pas vrai que les lâches vont vers l’absence de danger et les braves vers le danger ? » — « Telle est en effet, Socrate, l’opinion générale. » — « Tu as raison, dis-je ; mais ce n’est pas ce que je te demande ; je te demande ton opinion personnelle sur les risques auxquels s’exposent les braves. Affrontent-ils des dangers qu’ils considèrent comme vraiment dangereux, ou non ? » — « Tes discours précédents ont démontré que la première hypothèse était impossible. » — « Sur ce point encore, tu as raison ; de sorte que, si notre démonstration a été valable, personne n’affronte ce qu’il croit vraiment redoutable, attendu que se laisser vaincre nous est apparu[1] comme un simple fait d’ignorance. » — Il en convint.

— « La vérité est que tous affrontent ce qui ne trouble pas leur confiance, les braves comme les lâches, et, en ce sens, les braves et les lâches affrontent le même genre de risques. »

— « Cependant, dit-il, Socrate, les choses qu’affrontent les lâches et les braves sont tout à fait opposées. Les uns vont avec empressement à la bataille, les autres l’évitent. »

  1. Voir ci-dessus 358 b‑c.