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PROTAGORAS

neutre ; il convient d’accorder plus au plus habile, moins au moins savant. Pour moi, Protagoras et Socrate, je vous demande aussi de céder à nos vœux et de discuter entre vous, mais non de disputer. Ce n’est pas la même chose, en effet : on discute entre amis avec bienveillance, mais on dispute entre rivaux et ennemis. Notre réunion aura ainsi la plus grande beauté possible. Vous, en effet, qui parlerez, vous obtiendrez de nous, qui vous écouterons, notre approbation, je ne dis pas nos louanges : car l’approbation résulte d’un sentiment sincère éprouvé par les auditeurs, au lieu que la louange est souvent la parole mensongère d’une opinion qui se déguise ; et, de notre côté, nous qui vous écouterons, nous y trouverons ainsi au plus haut degré de la joie, plutôt que du plaisir : car on éprouve de la joie à apprendre, à recevoir dans sa pensée même des idées nouvelles, tandis qu’on peut avoir du plaisir à manger ou par l’effet de quelque autre sensation agréable qu’éprouve notre corps[1]. » Ainsi parla Prodicos, et beaucoup des assistants l’applaudirent.

À Prodicos succéda le savant Hippias : « Vous tous qui êtes ici présents, dit-il, je vous considère comme étant tous des parents, des proches, des concitoyens selon la nature, sinon selon la loi[2]. Selon la nature, le semblable est parent du semblable, mais la loi, « tyran des hommes », oppose sa contrainte à la nature. Pour nous, du moins, il serait honteux que, connaissant la nature des choses, étant les plus savants des Grecs, et par cette raison nous étant réunis dans cette cité, le Prytanée même de la science, dans cette demeure, la plus illustre et la plus opulente de la cité, nous ne fissions rien voir qui fût digne de nous et que, pareils aux plus médiocres des hommes, nous fussions incapables de nous accorder entre nous. Pour moi, Protagoras et Socrate, je vous demande et vous conseille de vous rapprocher à mi-chemin

  1. Cette attention donnée par Prodicos aux synonymes n’est, au fond, que le souci de distinguer les idées. Elle avait pu intéresser Socrate dans son effort pour définir les concepts et lorsqu’il se dit « l’élève » du sophiste (341 a, Ménon 96 d), ce n’est pas pure ironie.
  2. L’opposition entre la Loi (c.-à-d. la convention, l’institution humaine) et la Nature était un thème familier à la sophistique (cf. Gorg. 482 e sqq.), et qui pouvait, en effet, prêter aux développements les plus variés : Critique et Réforme de la Société, Retour