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GORGIAS

et la vérité. Moi, au contraire, si je n’obtiens pas ton propre témoignage, et lui seul, en faveur de mon affirmation, j’estime n’avoir rien fait cpour la solution de notre débat, non plus que toi du reste, si tu n’obtiens pas l’appui de mon témoignage, seul entre tous, et si tu ne renvoies pas tous les autres témoins. Voilà donc deux sortes de preuve, la première à laquelle tu crois comme bien d’autres, la seconde qui est la mienne. Il faut les examiner comparativement et voir en quoi elles diffèrent. Car le sujet de notre discussion n’est pas une chose insignifiante[1] : c’est peut-être la question sur laquelle il est le plus beau de savoir la vérité et le plus honteux de l’ignorer. Elle se résume en effet en ceci : savoir ou ignorer qui est heureux et qui ne l’est pas.

dPour rappeler d’abord le point précis de notre débat, tu estimes qu’on peut être heureux en faisant le mal et en vivant dans l’injustice, puisque tu reconnais d’une part l’injustice d’Archélaos, et que cependant tu le déclares heureux. Est-ce bien là l’opinion que nous devons considérer comme étant la tienne ?

Polos. — Parfaitement.

Socrate. — Je soutiens au contraire que c’est impossible. Voilà le premier point. Ceci posé, est-ce un bonheur pour le coupable de payer sa faute et de subir un châtiment ?

Polos. — Pas le moins du monde, car il n’en serait que plus malheureux.

eSocrate. — Alors, selon toi, le coupable sera heureux s’il n’expie pas ?

Polos. — Certainement.

Socrate. — Selon moi. Polos, l’homme coupable, comme aussi l’homme injuste, est malheureux en tout cas, mais il l’est surtout s’il ne paie point ses fautes et n’en subit pas le châtiment ; il l’est moins au contraire s’il les paie et s’il est châtié par les dieux et les hommes.

473Polos. — Voilà, Socrate, une étrange théorie.

Socrate. — Je vais essayer pourtant, mon ami, de te la faire partager avec moi ; car je te considère comme mon ami.

    seconde soi-disant réfutation de Polos (473 b), par le pathétique et un appel au public, puis nouvelle critique de Socrate (473 e-474 a), qui formule enfin les deux questions à examiner (474 b).

  1. Cf. p. 124, n. 1.