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NOTICE

Or, en face de ce mouvement presque universel, on sait comment Socrate se dressa en contradicteur ironique et redoutable : uniquement attaché à ce qui est pour lui le véritable bien, c’est-à-dire à la justice et à la vérité, indifférent aux biens extérieurs, dédaigneux de la foule et du succès, persuadé qu’on n’arrive à la possession du vrai bien que par un examen rigoureux et minutieux de toutes les opinions qui ont cours, il ne se borne pas à discuter avec les sophistes et leurs adeptes : il s’attache à former des disciples, et, à ceux qui veulent vraiment suivre sa voie, il ne se contente pas d’offrir un enseignement théorique ; il leur propose un nouvel idéal pratique, un nouveau genre de vie, qui les écartera des assemblées, des tribunaux, de l’influence et du pouvoir, mais qui leur donnera la satisfaction suprême de la conscience, celle d’avoir cherché la justice de toutes leurs forces en vue de la vie présente et de la vie future[1].

L’opposition de principe entre ces deux conceptions était radicale : mais il était inévitable que des essais de conciliation vinssent à se produire. Certains disciples de Socrate, comme Xénophon, furent aussi disciples de Prodicos ou de quelque autre sophiste, et leur socratisme tempéré se limitait à une teinte générale de sagesse et de modération dans leur pensée et dans leur vie : la conciliation, dans leur cas, était plus pratique que théorique. Isocrate, au contraire, prétendit faire vraiment la synthèse des deux méthodes, en créant une école de rhétorique qui fût en même temps une école de philosophie morale et qui réconciliât ainsi, dans une paix définitive, les deux maîtres dont il avait suivi et goûté les entretiens, Gorgias et Socrate.

Sur cette tentative, qui obtint d’ailleurs, comme on sait, une vogue considérable, Platon semble avoir professé deux opinions successives. Il a loué Isocrate dans le Phèdre et il lui a presque ressemblé dans le Ménexène. En revanche, il lui a consacré, à la fin de l’Euthydème, trois pages d’une critique mordante, sans le nommer, il est vrai, mais en le désignant avec une clarté qui ne laisse place à aucun doute dans l’esprit du lecteur.

Isocrate, de son côté, semble avoir toujours, depuis son

  1. Cf. Gorgias, 522 d‑e.