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GORGIAS

toutes choses rares, coûteuses, qu’on ne se procure pas sans difficultés et sans peine ; mais, une fois ses tonneaux pleins, notre homme n’aurait plus à y rien verser ni à s’en occuper ; il serait, à cet égard, parfaitement tranquille. L’autre homme, comme le premier, aurait le moyen de se procurer, non sans peine, des liquides divers, mais ses tonneaux seraient en mauvais état et fuiraient, de sorte qu’il serait forcé de travailler nuit et jour à les remplir, sous peine des plus dures privations. 494Ces deux manières de vivre sont exactement celles de l’intempérant et de l’homme sage : lequel des deux te paraît le plus heureux ? Ai-je réussi par mon discours à te persuader qu’une vie bien réglée vaut mieux qu’une vie désordonnée ; oui ou non ?

Calliclès. — Tu n’y as point réussi, Socrate. L’homme aux tonneaux pleins n’a plus aucun plaisir, et c’est justement là ce que j’appelais tout à l’heure vivre à la façon d’une pierre : une fois les tonneaux remplis, on n’a plus ni joie ni peine ; mais ce qui fait l’agrément de la vie, bc’est de verser le plus possible.

Socrate. — Mais, pour verser beaucoup, il faut nécessairement que les fuites soient abondantes et que les trous qui les laissent passer soient larges ?

Calliclès. — Sans doute.

Socrate. — Alors, c’est l’existence d’un pluvier que tu me proposes, non celle d’une pierre ou d’un mort. Mais dis-moi : ce que tu entends par là, c’est qu’il faut avoir faim, et, quand on a faim, manger ?

Calliclès. — Oui certes.

cSocrate. — Avoir soif et boire quand on a soif ?

Calliclès. — Précisément ; et qu’il faut avoir tous les autres désirs, pouvoir les satisfaire, y trouver du plaisir, et qu’en cela consiste le bonheur.

Socrate. — Allons, très bien, mon cher ! Reste en effet sur tes positions ; ne cède pas à la fausse honte. Mais je ne dois pas, moi non plus, ce me semble, pécher par timidité. Dis-moi donc d’abord si c’est vivre heureux que d’avoir la gale,

    non fermé, Ἅδης Hadès et ἀειδής invisible. Le mythographe, un Pythagoricien, est soit Empédocle (sicilien), soit plutôt Philolaos (italien), dont Socrate pouvait connaître l’enseignement par Simmias et Cébès (cf. Phédon 61 d).