Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
502 e
191
GORGIAS

Es-tu d’avis que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien, avec la constante préoccupation de rendre les citoyens meilleurs par leurs discours, ou bien estimes-tu qu’ils courent après la faveur populaire, qu’ils sacrifient l’intérêt public à leur intérêt privé, et qu’ils traitent les peuples comme des enfants auxquels ils veulent plaire avant tout, sans s’inquiéter de savoir 503s’ils les rendent meilleurs ou pires par ces procédés ?

Calliclès. — Cette question est plus complexe : il y a des orateurs dont les discours s’inspirent de l’intérêt public, et d’autres qui font comme tu le dis.

Socrate. — Il suffit : s’il y a deux sortes d’éloquence politique, l’une des deux est une flatterie et une vilaine chose ; l’autre seule est belle, celle qui travaille à améliorer les âmes des citoyens et qui s’efforce de toujours dire le meilleur, que cela plaise ou non à l’auditoire. bMais as-tu jamais rencontré cette éloquence-là ? Si tu en connais des exemples parmi les orateurs, hâte-toi de me les nommer.

Calliclès. — Eh bien, non, parmi ceux d’aujourd’hui, je n’en vois pas que je puisse t’indiquer.

Socrate. — Mais quoi ? Parmi ceux d’autrefois, peux-tu nommer un orateur dont la parole, à partir du moment où elle commença de se faire entendre, ait fait passer les Athéniens d’un état moins bon à un état meilleur ? cPour moi, cet orateur-là m’est inconnu.

Calliclès. — Que dis-tu ? N’as-tu jamais entendu vanter les mérites de Thémistocle, de Cimon, de Miltiade, de ce Périclès qui vient de mourir et dont tu as toi-même été l’auditeur ?

Socrate. — Si c’est un mérite véritable[1], Calliclès, de faire ce que tu disais d’abord, de satisfaire ses propres passions et celle des autres, je n’ai rien à répondre ; mais s’il en est autrement, s’il est vrai, comme nous avons dû le reconnaître ensuite, qu’il est bon de satisfaire ceux de nos désirs qui réa-

  1. Telle qu’elle est délimitée ici, la question ne trouvera sa réponse qu’à 515 d. L’examen des exemples allégués doit, en effet, être rattaché d’abord aux principes déjà acquis et ces principes eux-mêmes, chemin faisant, éclaircis et étendus. C’est ainsi que Socrate, partant de la différence de qualité qu’il a fait admettre de Calliclès entre nos désirs (499 b), commence par définir ce qui fait cette qualité :