Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
506 b
196
GORGIAS

Socrate. — De mon côté, Gorgias, j’aurais eu plaisir à poursuivre le dialogue avec Calliclès, jusqu’au moment où j’aurais pu lui rendre la tirade d’Amphion en échange de celle de Zéthos[1]. Cependant, puisque tu refuses, Calliclès, d’achever l’entretien, ne manque pas d’interrompre mon discours si je dis quelque chose qui te semble inexact. Et si tu me prouves mon erreur, bien loin de t’en vouloir, comme tu le fais à mon égard, cje t’inscrirai au premier rang de mes bienfaiteurs.

Calliclès. — Parle toi-même, mon cher, et achève.

Socrate. — Écoute-moi donc, et permets-moi de reprendre les choses au début. L’agréable et le bon sont-ils identiques ? Non, ainsi que nous en sommes tombés d’accord, Calliclès et moi. — Faut il faire l’agréable en vue du bon, ou le bon en vue de l’agréable ? L’agréable en vue du bon. — L’agréable est-il ce dont la présence nous réjouit, det le bon ce dont la présence fait que nous sommes bons ? Oui. — Or nous sommes bons, nous-mêmes et toutes les choses bonnes, par la présence d’une certaine qualité ? Cela me paraît inévitable, Calliclès. — Mais la qualité propre à chaque chose, meuble, corps, âme, animal quelconque, ne lui vient pas par hasard : elle résulte d’un certain ordre, d’une certaine justesse et d’un certain art, adaptés à la nature de cette chose. Est-ce vrai ? Pour ma part, je l’affirme. — Ainsi donc, la vertu de chaque chose consiste en une ordonnance et une disposition heureuse résultant de l’ordre ? eJe le soutiendrais. — Par conséquent, une certaine beauté d’arrangement propre à la nature de chaque chose, est ce qui, par sa présence, rend cette chose bonne ? Je le crois. — Et par conséquent aussi, une âme en laquelle se trouve l’ordre qui convient à l’âme vaut mieux que celle d’où cet ordre est absent ? Nécessairement. — Or une âme qui possède l’ordre est une âme bien ordonnée ? Sans doute. — Et une âme bien ordonnée est tempérante et sage ? De toute nécessité. 507— Donc une âme tempérante est bonne. — Voilà des propositions auxquelles je n’ai rien à changer, mon cher Calliclès : si tu as quelque objection à présenter, fais-la moi connaître.

  1. Par la façon dont elle évoque le début de la discussion, la plaisanterie indique qu’on n’en perd pas de vue l’objet : il s’agit toujours de comparer deux conceptions différentes de la vie (cf. 485 e