Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
519 d
214
GORGIAS

gage ? Comment des hommes devenus bons et justes grâce à un maître qui les a débarrassés de l’injustice, pourraient-ils, une fois en possession de la justice, faire tort à leur maître avec ce qu’ils n’ont plus ? Ne trouves-tu pas cela bizarre, mon cher ami ? — Tu m’as forcé, Calliclès, à faire cette fois un vrai discours d’homme politique, par ton refus de me répondre.

Calliclès. — Ne peux-tu donc parler sans qu’on te réponde ?

Socrate. — Peut-être : en tout cas, me voici lancé dans d’interminables harangues faute de réponses de ta part. Mais dis-moi, par le dieu de l’amitié, ne trouves-tu pas absurde de soutenir qu’on a rendu bon un homme et de reprocher aussitôt après à ce même homme, devenu bon grâce à nous et qui est censé l’être réellement, d’être méchant ?

Calliclès. — C’est assez mon avis.

Socrate. — N’entends-tu pas quelquefois ce langage dans la bouche des gens qui prétendent enseigner la vertu ?

Calliclès. — Oui ; mais pourquoi faire attention à des gens de rien ?

Socrate. — Et toi, que diras-tu de ces hommes qui, se donnant pour les chefs de la cité, chargés de la guider vers la perfection, l’accusent au contraire, dans l’occasion, de tous les vices ? Vois-tu la moindre différence entre ceux-ci et ceux-là ? Non, mon cher, entre la sophistique et la rhétorique, tout est pareil, ou presque, ainsi que je le disais à Polos[1]. C’est par erreur que tu trouves l’une des deux choses parfaitement belle, la rhétorique, et que tu méprises l’autre ; au fond, même, la sophistique l’emporte en beauté sur la rhétorique autant que la législation sur la procédure et la gymnastique sur la médecine. Pour moi, je croyais que les orateurs politiques étaient avec les sophistes les seuls qui n’eussent pas le droit de blâmer les gens dont ils sont les éducateurs, attendu qu’ils ne peuvent accuser leurs disciples de méchanceté à leur égard sans se condamner eux-mêmes, en prouvant par là qu’ils n’ont pas su rendre à ceux-ci le service qu’ils affirment leur rendre. N’est-ce pas vrai ?

Calliclès. — Certainement.

  1. Cf. 465 c.