Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
85 c
258
MÉNON

Ménon. — C’est vrai.

Socrate. — C’est donc que ces opinions se trouvaient déjà en lui. N’est-ce pas vrai ?

Ménon. — Oui.

Socrate. — Ainsi, sur les choses mêmes qu’on ignore, on peut avoir en soi des opinions vraies[1] ?

Ménon. — Cela paraît évident.

Socrate. — Pour le moment, ces opinions vraies ont surgi en lui comme dans un songe. Mais si on l’interroge souvent et de diverses manières sur les mêmes sujets, tu peux être certain qu’il finira par en avoir une science aussi exacte d qu’homme du monde.

Ménon. — C’est probable.

Socrate. — Il saura donc sans avoir eu de maître, grâce à de simples interrogations, ayant retrouvé de lui-même en lui sa science ?

Ménon. — Oui.

Socrate. — Mais retrouver de soi-même en soi sa science, n’est-ce pas précisément se ressouvenir ?

Ménon. — Sans doute.

Socrate. — Cette science, qu’il a maintenant, ne faut-il pas ou bien qu’il l’ait reçue à un certain moment, ou bien qu’il l’ait toujours eue ?

Ménon. — Oui.

Socrate. — Mais s’il l’a toujours eue, c’est que toujours aussi il a été savant, et s’il l’a reçue à un moment donné, ce n’est sûrement pas dans la vie présente. A-t-il donc eu par hasard un maître e de géométrie ? Car c’est toute la géométrie, et même toutes les autres sciences, qu’il retrouvera de la même façon. Est-il quelqu’un qui lui ait tout enseigné ? Tu dois bien, j’imagine, le savoir, et d’autant mieux qu’il est né et a grandi chez toi.

Ménon. — Je suis bien certain qu’il n’a jamais eu de maître.

Socrate. — Oui ou non, cependant, a-t-il ces opinions ?

Ménon. — Il semble incontestable qu’il les a, Socrate.

Socrate. — S’il ne les a pas acquises dans la vie présente, 86 il faut bien qu’il les ait eues dans un autre temps et qu’il s’en trouvât pourvu d’avance.

  1. Sur l’opinion vraie, voir, ci-dessus, pp. 94 et 229.