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GORGIAS

n’a pas besoin de connaître la réalité des choses ; il lui suffit d’un certain procédé de persuasion qu’elle a inventé, pour qu’elle paraisse c devant les ignorants plus savante que les savants.

Gorgias. — N’est-ce pas une merveilleuse facilité, Socrate, que de pouvoir, sans aucune étude des autres arts, grâce à celui-là seul, être l’égal de tous les spécialistes ?


La science du juste et de l’injuste est-elle une de ces sciences dont la rhétorique peut se passer ?

Socrate. — Si l’orateur, par cette manière de faire, est ou non l’égal des autres, c’est ce que nous examinerons tout à l’heure, si la discussion le demande. Pour le moment, voyons d’abord si, relativement d au juste et à l’injuste, au beau et au laid, au bien ou au mal, l’orateur est dans les mêmes conditions que relativement à la santé et aux objets des autres arts, et si, sans connaître les choses mêmes, sans savoir ce qui est bien ou mal, beau ou laid, juste ou injuste, il possède un secret de persuasion qui lui permette, à lui qui ne sait rien, de paraître aux ignorants plus savant que ceux qui savent ? e Ou bien est-il nécessaire qu’il sache, et doit-on avoir appris déjà ces choses avant de venir chercher auprès de toi des leçons de rhétorique ? Sinon, toi qui es maître de rhétorique, sans enseigner à ton disciple aucune de ces choses (ce n’est pas ton métier), feras-tu qu’il paraisse à la foule les savoir tout en les ignorant, et qu’il semble honnête homme sans l’être ? Ou bien encore es-tu hors d’état d’enseigner la rhétorique à qui n’a pas acquis préalablement la connaissance de la vérité sur ces matières ? Enfin, que faut-il penser de tout cela, Gorgias ? Par Zeus, dévoile-moi, comme tu le disais tout à l’heure, toute la puissance de la rhétorique, 460 et fais m’en comprendre la nature.

Gorgias. — Je crois, Socrate, que si l’on ignorait ces choses auparavant, on les apprendra, elles aussi, auprès de moi.

Socrate. — Il suffit : voilà qui est bien parlé. Pour que tu puisses faire de ton disciple un orateur, il faut qu’il connaisse le juste et l’injuste, soit qu’il ait acquis cette connaissance antérieurement, soit qu’il l’ait reçue de toi par la suite.