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461 c
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GORGIAS

Socrate. — Charmant Polos[1], voilà bien le service que nous attendons de nos amis et de nos enfants ! Quand l’âge nous fait faire des faux pas, vous, les jeunes, vous êtes là pour nous redresser dans nos actes et dans nos discours. En ce moment même, si nous avons failli dans nos raisonnements, Gorgias et moi, d tu arrives à point pour nous corriger. C’est ton rôle. Je suis tout prêt, pour ma part, si tu trouves à redire à quelqu’une de nos affirmations, à la reprendre selon ton désir, à une seule condition.

Polos. — Quelle condition ?

Socrate. — Il faut, Polos, tenir en bride cette ampleur de discours dont tu avais commencé par nous éblouir.

Polos. — Comment ? Je n’aurais pas le droit de parler autant qu’il me plaira ?

e Socrate. — Tu jouerais de malheur, mon cher, si, venant à Athènes, le lieu de la Grèce où la parole est le plus libre, tu t’y voyais seul dépouillé de ce privilège. Mais vois la contre-partie : si tu fais de longs discours au lieu de répondre à mes questions, ne serait-ce pas, à mon tour, jouer de malheur 462 que de n’avoir pas le droit de m’en aller sans t’écouter ? Cependant, si tu t’intéresses à l’entretien et si tu as quelque chose à y corriger, je le répète, remets en discussion ce que tu voudras, tour à tour interrogeant et interrogé, comme Gorgias et moi, réfutant et réfuté. Tu prétends sans doute en savoir autant que Gorgias, n’est-il pas vrai ?

Polos. — Oui, certes.

Socrate. — Tu invites donc aussi chacun à te poser la question qui lui plaît, et tu te fais fort d’y répondre ?

Polos. — Absolument.

b Socrate. — Eh bien, choisis ton rôle : interroge ou réponds.

  1. Dans cette partie du dialogue, où il s’agit surtout de s’assurer des positions en vue de progrès ultérieurs, Polos est l’interlocuteur idéal. Tel on l’avait entrevu avec Chéréphon, inapte aux discussions dialectiques, naïvement confiant dans les procédés de la rhétorique (cf. 448 c-e), tel il se retrouve avec Socrate, prêt à abandonner une question aussitôt qu’effleurée ou à se jeter sur des arguments à côté dès qu’il sent que son adversaire prend le dessus. Sautes d’humeur et boutades, soulignées par Platon, créent autant de péripéties et comme de paragraphes dans le développement principal.