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PHÉDON


Intervention de Criton.

— Eh bien ! je m’y efforcerai, dit-il. Mais auparavant voyons ce que ce brave Criton semble avoir depuis longtemps l’intention de me dire. — Ce que c’est ? fit Criton. Rien de plus que ce que me répète, il y a déjà longtemps, celui qui doit te donner le poison : il veut que je t’explique de causer le moins possible. Car on s’échauffe, dit-il, à trop causer, et on doit éviter de contrarier ainsi l’action du poison ; le résultat, c’est qu’à procéder de la sorte e il arrive qu’on soit obligé d’en boire jusqu’à deux et trois fois. » Alors Socrate : « Envoie-le promener ! Il n’a qu’à s’arranger pour m’en donner, et deux fois, et trois fois même, s’il le faut ! — Parbleu ! voilà bien à peu près, dit Criton, la réponse que je prévoyais, mais il y a longtemps déjà qu’il me tourmente.


Socrate justifie son attitude :
la mort est la libération de la pensée.

— Laisse-le dire ! reprit Socrate – À vous cependant, qui êtes donc mes juges, je tiens maintenant à vous rendre des comptes, à vous dire mes raisons de regarder l’homme dont la vie a été en réalité employée à la philosophie comme plein d’une légitime assurance au moment de 64 mourir, lui qui a bon espoir d’avoir à soi là-bas des biens très grands, lorsqu’il aura trépassé ! Comment donc en peut-il être vraiment ainsi ? Voilà, Simmias et Cébès, ce que je m’efforcerai de vous expliquer. J’en ai bien peur en effet : quiconque s’attache à la philosophie au sens droit du terme, les autres hommes ne se doutent pas que son unique occupation, c’est de mourir, ou d’être mort ! Si donc c’est la vérité, il serait assurément bien étrange de n’avoir nulle autre chose à cœur que celle-là pendant toute la vie ; puis, quand cette chose arrive, de s’irriter à propos de ce que, jusqu’alors, on avait à cœur et de quoi l’on s’occupait ! »

Là-dessus, Simmias se mit à rire : « Par Zeus ! Socrate, dit-il, b je n’en avais tout à l’heure nulle envie : tu m’as pourtant fait rire ! C’est que, je crois, la foule en t’entendant parler ainsi trouverait qu’on a bien raison[1] d’attaquer

    crate va exprimer et dont les motifs justifieront son attitude.

  1. Allusion possible (cf. 65 a, 67 d fin), et à ce que dit Aristophane