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PHÉDON

fois, séparée du corps, n’existe-t-elle plus nulle part, et peut-être, bien plutôt, le jour même où l’homme meurt, est-elle détruite et périt-elle ; dès l’instant de cette séparation, peut-être sort-elle du corps pour se dissiper à la façon d’un souffle ou d’une fumée, et ainsi partie et envolée n’est-elle plus rien nulle part. Par suite, s’il était vrai que quelque part elle se fût ramassée en elle-même et sur elle-même, après s’être débarrassée de ces maux que tu passais tout à l’heure en revue, quelle grande et belle espérance, b Socrate, naîtrait de la vérité de ton langage ! Il a pourtant besoin sans nul doute d’une justification, et qui probablement n’est pas peu de chose, pour faire croire qu’après la mort de l’homme l’âme subsiste avec une activité réelle et une pensée[1]. — C’est vrai, Cébès, dit Socrate. Eh bien ! qu’avons-nous donc à faire ? N’est-ce pas ton désir que sur ce sujet même nous racontions s’il est vraisemblable ou non qu’il en soit ainsi[2] ? — Ma foi, oui ! répondit Cébès, j’aurais plaisir à entendre quelles sont là-dessus tes idées. — Au moins, reprit Socrate, il n’y aurait, je crois, personne, en m’entendant à présent, personne, fût-ce même un poète c comique, pour prétendre que je suis un bavard et qui parle de choses qui ne le regardent pas[3] ! Si donc tel est ton avis, c’est une chose à examiner à fond.


L’argument
des contraires.

« Or, examinons la question à peu près sous cette forme : est-ce en somme chez Hadès que sont les âmes des trépassés, ou n’y sont-elles pas ? Le fait est que, d’après une antique tradition que nous avons déjà rappelée[4], là-bas sont les

    Platon les rassemble pour les condamner Rep. III, 386 d sq.

  1. Il s’agira donc de montrer contre ces croyances populaires que, au lieu d’être après la mort une ombre vaine et un souffle inconsistant, l’âme garde une réalité active et reste capable de penser.
  2. Ce sont des vraisemblances qui vont être exposées, et ainsi l’idée d’en faire la narration organisée prend son sens plein, qui, déjà indiqué 61 b, e, s’épanouira dans les mythes (cf. 81 d et 114 d). La méthode philosophique, seule capable de fournir une vraie preuve (102 a-107 a), est au contraire la dialectique (voir p. 12, n. 2).
  3. Soit, d’après Olympiodore, Eupolis (fr. 352 : « Je hais Socrate, le mendiant bavard… » ; soit Aristophane (Nuées 1484 sq. ; cf. Apologie 19 d).
  4. Bien que la suite (70 e) fasse songer à Héraclite, c’est encore,