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PHÉDON

soi, de leur pensée quand elles l’exercent d’elles-mêmes et par elles-mêmes ; et, en revanche, b si d’autres moyens leur servent à envisager cet objet, quel qu’il soit, qui change avec le changement de ses conditions[1], de n’y reconnaître aucune vérité ; car ce qui est de ce genre est sensible et visible, tandis que ce qu’elles voient par leurs propres moyens est intelligible et en même temps invisible !

« Être ainsi délié, voilà donc à l’encontre de quoi l’âme du vrai philosophe pense qu’on doit ne rien faire, et de la sorte elle se tient à l’écart des plaisirs, aussi bien que des désirs, des peines, des terreurs, pour autant qu’elle en a le pouvoir[2]. Elle calcule en effet que, à ressentir avec intensité plaisir, peine, terreur ou désir, alors, si grand que soit le mal dont on puisse souffrir à cette occasion, entre tous ceux qu’on peut imaginer, tomber malade par exemple ou se ruiner c à cause de ses désirs, il n’y a aucun mal qui ne soit dépassé cependant par celui qui est le mal suprême ; c’est de celui-là qu’on souffre, et on ne le met pas en compte ! — Qu’est-ce que ce mal, Socrate ? dit Cébès. — C’est qu’en toute âme humaine, forcément, l’intensité du plaisir ou de la peine à tel ou tel propos s’accompagne de la croyance que l’objet précisément de cette émotion, c’est tout ce qu’il y a de plus clair et de plus vrai, alors qu’il n’en est point ainsi[3]. Il s’agit alors au plus haut point de choses visibles, n’est-ce pas ? — Hé ! absolument. — N’est-ce pas dans de telles affections qu’au plus haut point l’âme est assujettie aux chaînes du corps ? — Comment, dis ? — Voici : d tout plaisir et toute peine possèdent une manière de clou, avec quoi ils clouent

    liser une incantation capable de substituer à une croyance funeste une croyance salutaire ; il y a accord entre 83 c-84 b et 70 b in., 77 e sq., 114 d, 115 d. Aussi Platon, dans cette partie, fait-il constamment appel à la vraisemblance et au mythe (cf. p. 22, n. 2).

  1. Cf. 78 c, e, ainsi que la note de la p. 35.
  2. En vertu du principe socratique que savoir c’est faire, une âme philosophe ne saurait, en aucun cas, être vaincue par les passions. Il se peut donc que la réserve contenue dans le dernier membre de la phrase porte plutôt sur ce qui suit.
  3. Le vulgaire ne met en compte que les effets de la passion, non la cause, la passion elle-même. Or celle-ci est le mal suprême ; car, en raison de son intensité affective, elle nous fait croire, selon la profonde remarque de Platon, à la réalité de son objet.