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PHÉDON

l’âme au corps et la fichent en lui, faisant qu’ainsi elle a de la corporéité et qu’elle juge de la vérité des choses d’après les affirmations mêmes du corps. Du fait qu’en cela elle se conforme au corps en ses jugements et se complaît aux mêmes objets, il doit nécessairement, à ce que je crois, se produire en elle une conformité de tendances comme une conformité de culture ; elle est telle, par suite, que jamais elle ne parvient chez Hadès en état de pureté, mais toujours au contraire contaminée par le corps d’où elle est sortie. Le résultat, c’est qu’elle ne tarde pas à retomber dans un autre corps, où en quelque sorte elle s’ensemence et prend racine. En conséquence de quoi, e elle est frustrée de tout droit à partager l’existence de ce qui est divin et, du même coup, pur et unique en sa forme. — Ton langage, Socrate, dit Cébès, est la vérité même ! — Voilà donc, Cébès, pour quels motifs ceux qui sont à bon droit des amis du savoir sont prudents et courageux, non point pour les motifs qu’allègue la foule ; à moins que ce ne soit là ton avis ? — 84 Non, pas le mien, à coup sûr !

— Non, c’est bien vrai ! Tout au contraire, voici comment calculera sans doute une âme philosophique : elle n’ira pas s’imaginer que, l’affaire de la philosophie étant de la délier, la sienne puisse être, tandis que celle-ci la délie, de se livrer volontairement à la merci des plaisirs et des peines pour se remettre dans les chaînes, ni d’accomplir le labeur sans fin d’une Pénélope qui sur sa trame travaillerait au rebours de l’autre[1]. Non ! mais elle met les passions au calme, elle s’attache aux pas du raisonnement et ne cesse d’être présente en lui ; elle prend le vrai, le divin, ce qui échappe à l’opinion, pour spectacle et aussi pour aliment[2], b convaincue que c’est ainsi qu’elle doit vivre tant que dure sa vie, et qu’elle doit en outre, après la fin de celle-ci, s’en aller vers ce qui lui est apparenté et assorti, se débarrassant ainsi de l’humaine misère ! Puis donc que telle a été sa culture, il n’y a pas à

  1. L’image paraît être que l’âme qui emploierait la nuit de la vie sensible à retisser ce qu’a détissé la philosophie dans la lumière de la pensée, travaillerait au rebours de la Pénélope homérique.
  2. Ce que connaît le vrai savoir n’est plus objet d’opinion. Or, comme le dit le Phèdre 247 cd, 248 bc, les âmes déchues et souillées ont pour pâture, non la vérité, mais l’opinion.