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PHÉDON

n’occupons qu’une petite parcelle, logés à l’entour de la mer, fourmis ou grenouilles, comme à l’entour d’une eau stagnante[1]. Il existe encore, en d’autres lieux, d’autres hommes en grand nombre, et logés dans un grand nombre de régions analogues. C’est que, partout sur la rondeur de la terre, il y a un grand nombre de creux, de toute forme et de toute grandeur, où se sont déversés ensemble eau, vapeur et air. Quant à la terre, en elle-même et toute pure, c’est dans la partie pure du monde qu’elle se trouve, celle où sont les astres et à laquelle le nom d’éther est donné c par la foule de ceux qui ont coutume de discourir sur de telles questions. Un dépôt abandonné par celui-ci, voilà ce qui constitue ces matières qui continuellement viennent ensemble se déverser dans les creux de la terre. Nous, donc, nous en habitons les creux, mais sans nous en douter ; et nous nous imaginons habiter en haut, sur la surface de la terre[2]. Tel serait le cas d’un homme logé à mi-distance du fond de la pleine mer ; il s’imaginerait être logé à la surface de celle-ci, et, comme à travers l’eau il verrait le soleil et le reste des astres, il prendrait en même temps la mer pour du ciel ; son indolence et sa faiblesse ne lui auraient encore jamais permis de parvenir au d sommet de la mer, ni, une fois qu’il aurait émergé de cette mer et levé la tête au dehors vers cette région-ci, de voir à quel point elle est plus pure et plus belle que celle de ses pareils, dont nul non plus ne l’aurait instruit faute de l’avoir vue. C’est la même chose, certainement, qui nous arrive à nous aussi : logeant dans un des creux de la terre, nous nous imaginons loger tout en haut de celle-ci ; nous appelons ciel l’air, comme s’il était le ciel que parcourent les astres. Et voici en quoi le cas est bien le même : notre faiblesse et notre indolence e nous font incapables de traverser l’air de bout en bout ; oui, supposons qu’on en atteigne le sommet, ou

    chide) au détroit de Gibraltar, le bassin Méditerranéen tout entier.

  1. Par rapport à la grandeur de la terre, nous sommes des fourmis ; d’autre part, habitant autour d’une mer presque fermée, nous ressemblons à des grenouilles autour d’un marais.
  2. La cosmologie nomme le milieu sidéral éther. Au dessous, doit être une partie de la terre où elle est sans mélange. Les bas-fonds dans lesquels nous vivons sont faits au contraire pour recevoir, comme