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PHÉDON

aux points où elles peuvent l’atteindre[1]. Faisant à son tour vis-à-vis à celui-ci, le quatrième fleuve débouche d’abord dans un pays qui est, à ce qu’on dit, d’une effrayante sauvagerie et tout entier revêtu d’une espèce de coloration bleuâtre ; c c’est le pays qu’on nomme Stygien ; ce fleuve forme en outre le lac du Styx, dans lequel il se jette ; après qu’en y tombant ses eaux ont acquis de redoutables propriétés, il s’enfonce sous la terre et, en faisant des spirales, il court en sens contraire du Pyriphlégéthon au devant duquel il s’avance, au voisinage du lac Achérousias, du côté opposé ; son eau du reste ne se mêle non plus à aucune autre, mais, lui aussi, après un trajet circulaire il vient se jeter dans le Tartare à l’opposé du Pyriphlégéthon ; le nom de ce fleuve, au dire des poètes, est Cocyte[2].

« d Telle est donc la distribution naturelle de ces fleuves. Voilà les trépassés parvenus au lieu où chacun d’eux est amené par son Génie. Ils s’y sont tout d’abord fait juger, et ceux qui ont eu une belle et sainte vie tout comme les autres[3]. Les uns alors, s’il a été reconnu que leur existence fut moyenne, sont mis en route sur l’Achéron, montés dans les barques[4] qui leur sont destinées et sur lesquelles ils parviennent au lac. C’est là qu’ils résident et là qu’ils se purifient, aussi bien en se déchargeant, par les peines qu’ils en paient, des injustices dont ils ont pu se rendre coupables, qu’en obtenant pour leurs bonnes actions des récompenses proportionnées au mérite de chacun[5]. Il en est d’autres dont l’état aura été reconnu sans remède e à cause de la grandeur de leurs fautes : auteurs de vols sacrilèges répétés et graves, d’homicides en foule, injustes et sans légalité, et de tous les forfaits de ce genre qu’il peut bien y avoir encore ; le lot qui convient à ceux-là,

  1. Pour rendre de l’eau au Tartare ce fleuve devra faire de longs circuits. Il s’était ignifié en traversant (cf. 112 a fin) une région souterraine ; il ne nous est d’ailleurs connu que par les éruptions volcaniques : ce n’est donc pas le Sénégal, et il n’y a pas lieu (avec J. Burnet) d’alléguer ici le périple d’Hannon.
  2. Inversement ce fleuve se glace en un lieu qui est visible, comme le Styx même au sortir duquel il plonge sous terre. Doit-on penser ici à ce qu’on racontait des pays au delà de Thulé ? Cf. Notice, p. lxxvi.
  3. Cf. 108 b. Sur le jugement voir le mythe final du Gorgias.
  4. Des barques pareilles à celles du nocher Charon.
  5. Ce purgatoire n’est donc pas uniquement un lieu d’expiation.