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PHÉDON

il s’était assis et à partir de ce moment, l’entretien fut très court. Alors arriva le serviteur des Onze[1] et, debout devant lui : « Socrate, c dit-il, je n’aurai pas à te reprocher, à toi, ce que justement je reproche aux autres ! Ils se mettent en colère contre moi et me chargent d’imprécations, quand je les invite à boire le poison parce que tel est l’ordre des Magistrats. Toi au contraire, j’ai eu, en d’autres occasions, tout le temps de comprendre que tu es l’homme le plus généreux, le plus doux et le meilleur de tous ceux qui sont jamais arrivés en ce lieu. Et, tout particulièrement aujourd’hui, je suis bien sûr que ce n’est pas contre moi que tu es en colère, tu les connais en effet, les responsables[2], mais contre ces gens-là. Maintenant donc, car tu n’ignores pas ce que je suis venu t’annoncer, adieu ! Tâche de supporter de ton mieux d ce qui est fatal ! » En même temps il se mit à pleurer et, s’étant détourné, il s’éloigna. Socrate leva les yeux vers lui : « À toi aussi, adieu ! dit-il. Pour nous, nous suivrons ton avis. » Là-dessus il se tourna de notre côté : « Que de gentillesse, dit-il, en cet homme ! Durant tout mon séjour ici, il venait me trouver, me faisant parfois la conversation : bref, un homme excellent. Et aujourd’hui, quelle générosité dans la façon dont il me pleure ! Eh bien donc, allons ! obéissons-lui, Criton, et qu’on apporte le poison s’il est broyé ; sinon, que celui qui le broie s’en occupe ! »

Alors Criton : « Mais, dit-il, Socrate, le soleil, si je ne me trompe, est encore sur les e montagnes et il n’a pas fini de se coucher[3]. Aussi bien ai-je ouï dire que d’autres ont bu le poison très longtemps après en avoir reçu l’invite, et après avoir bien mangé et bien bu, quelques-uns même après avoir eu commerce avec les personnes dont ils pouvaient bien avoir envie. Allons ! pas de précipitation : il y a encore le temps ! » À quoi Socrate de répliquer : « Il est naturel sans doute, Criton, que les gens dont tu parles fassent ce que tu dis, pensant en effet qu’ils gagneront quelque chose à le faire.

  1. Ce fonctionnaire ne peut être le portier de 59 e. C’est un autre encore (cf. d fin, 117 a et 63 d) qui prépare et apporte le poison.
  2. Il ne s’agit pas des Magistrats, mais des accusateurs.
  3. Le demi-jour qui règne encore dans la prison doit venir, pense Criton, des reflets du couchant sur les pentes de l’Hymette (au N.-E.) ; le soleil n’a donc pas tout à fait disparu derrière l’horizon.