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PHÈDRE

Politique. Or il existe, c’est justement ce que nous enseigne le Phèdre, au-dessus de cette rhétorique dont l’objet est de produire des vraisemblances illusoires (260 b-e) une autre rhétorique, qui est philosophique. Celle-ci ne se refuse pas sans doute à persuader (271 a, sq.), mais elle le fait en rattachant le vraisemblable au vrai, qui en est le principe (262 a-c, 273 d, 277 b). Cette rhétorique philosophique consiste en outre à distinguer les diverses sortes d’âmes et les diverses sortes de discours, puis à établir quelle sorte de discours est propre à convaincre telle sorte d’âme (271 b, de ; 277 bc ; 278 d fin). Ne peut-on dès lors penser que son objet sera notamment de savoir dans quels cas il y a lieu, si on veut convaincre, de recourir au mythe parce que l’usage de la dialectique serait sans effet sur les âmes qu’il s’agit de toucher ? C’est ainsi que, avant de travailler à prouver qu’entre les délires l’amour est le plus beau, Socrate sait d’avance que seuls les Sages seront convaincus par son argumentation et qu’elle ne trouvera qu’incrédulité auprès des habiles, c’est-à-dire des esprits forts (245 c). D’autre part, son second discours qui contient sa conception de l’amour est qualifié par lui (265 bc) d’hymne mythologique, où il s’est amusé à la combinaison d’un morceau oratoire auquel ne manquait pas la force persuasive. Enfin on ne peut se défendre de rapprocher le mythe du Timée de ce passage du Phèdre (269 e sq. ; cf. p. cxlviii sq.) où la physique apparaît comme une application de la vraie rhétorique. Ainsi donc, quand celui qui sait le vrai se propose de convaincre, et surtout dans un écrit puisque ce n’est à ses yeux qu’un moyen de se délasser, il peut sans scrupule user du mythe pour rendre sa pensée partiellement accessible à ceux qui sont capables d’être « convertis » (cf. Timée 28 c). Or l’étude des mathématiques et des sciences connexes est aussi, d’après la République (VII 518 cd, 521 c), un moyen de « conversion ». Le mythe, quand c’est la vraie rhétorique qui l’emploie, en serait par conséquent un autre, mais d’ordre inférieur et fait pour des âmes auxquelles manque encore la purification indispensable de la pensée. C’est dire qu’il se justifie dans un écrit appelé à tomber en n’importe quelles mains (cf. 275 e déb.) ; on lui demandera seulement d’avoir égard au respect dû à la divinité (273 e sq.), autrement dit d’éviter l’immoralité des mythes homériques (cf. p. lxxvi, n. 1).