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PHÈDRE

lie[1] à celle que se fait Platon de l’éducation des philosophes : en étudiant l’astronomie et les autres sciences mathématiques, ils se dégageront du Sensible et ce sera une propédeutique à la science exacte entre toutes, la dialectique, science de l’Intelligible ; il y a donc là une culture moyenne (Rép. VII 524 c-531 c ; Philèbe 56 de). En disant que l’amour est un délire, il s’est donné pour tâche d’intégrer à la doctrine de l’amour une doctrine de l’âme (Phèdre 245 c) ; du même coup il intégrait, plus clairement qu’il ne l’avait fait dans le Banquet, la doctrine de l’amour à toute sa philosophie. On peut même ajouter que l’âme devient ainsi le médiateur dont les objections du Parménide accusent la nécessité : par l’amour vrai dans l’âme, l’Intelligible et le Sensible se rejoignent ; c’est un pont jeté sur le gouffre et ces deux « en soi » deviennent alors « l’un pour l’autre ».

Ce n’est pas tout. L’amour était conçu dans le Banquet (par ex. 203 d) comme une tendance qui est toujours soit en action soit prête à l’action ; parce que l’amour désire toujours autre chose que ce qu’il a, il est sans cesse en chasse, il va toujours de l’avant. Ainsi l’amour est moteur et ce qu’il meut, c’est lui-même, mais aussi du même coup tout le reste, les âmes comme les corps, puisqu’il n’y a de perpétuité dans la génération, pour l’esprit comme pour la chair, que par l’amour. Or cette double motricité, c’est à l’âme qu’elle est transférée par le Phèdre. En même temps le désir de se perpétuer en d’autres âmes ou en d’autres corps, ce désir de s’immortaliser qui était d’après le Banquet le grand ressort de l’amour, se transforme en une immortalité essentielle de l’âme, sans laquelle l’amour même ne saurait être compris. Donc c’est à présent l’âme qui se meut elle-même et qui meut tout le reste. Mais ce mouvement est amour : l’âme s’aime elle-même, et c’est ce qui lui fait accomplir ses révolutions dans le ciel, mue par le désir de contempler ces réalités vraies dont la vision est l’aliment de ce qu’il y a de meilleur en elle. Or l’âme gouverne et administre tout ce qui est dépourvu d’âme ; c’est donc le désir dont elle se meut qui meut aussi tout ce à quoi elle communique le mouvement, car c’est ce désir qui attache les âmes non divines aux

  1. Ce que lui reproche Aristote, d’ailleurs sans le nommer, Métaph. Β 2, 997 b 15-20.