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PHÈDRE

ce sont ces différences qui donneront lieu à constituer des espèces distinctes. On poursuivra de la sorte jusqu’à ce qu’on arrive à une « forme » dans l’unité de laquelle on n’apercevra plus aucune différence qui puisse se définir et donner lieu, par conséquent, à un progrès dans la spécification : c’est l’espèce indivisible. Au delà, l’unité se perdra dans l’infinité des existences individuelles, qui ne se distinguent plus les unes des autres par des caractères définissables et nombrables ; ainsi donc on en revient, mais par degrés, à la multiplicité confuse de laquelle on avait dans le premier moment tenté de s’évader. C’était en effet un essai : il fallait en contrôler la valeur, et c’est le rôle de la division : celle-ci est donc le procédé capital de la dialectique en tant que méthode de la science. Du sensible on est allé vers l’intelligible, et c’est par l’intelligible que l’on revient au sensible ; d’un terme à l’autre la dialectique se meut donc continuellement dans le plan de l’intelligibilité, et c’est ce que déjà disait la République (VI 511 bc) mais sans s’expliquer suffisamment : utiliser les Idées mêmes, en laissant de côté le sensible, pour aller aux Idées par le moyen des Idées et, en terminant, aboutir à des Idées.

Philosophie.

Toutefois, quand on dit de la dialectique qu’elle est la méthode même du savoir en tant qu’elle fait place à la division, il faut bien s’entendre. Cela n’est vrai en effet que d’une aspiration vers le savoir, avec laquelle la possession même du savoir ne saurait être confondue (278 c et cf. Banquet 203 e sq.). Si la division consiste à déduire le sensible en faisant le compte des intermédiaires qui le séparent de l’intelligible, n’est-ce pas le signe d’une renonciation de l’intelligence, puisqu’en atteignant l’espèce indivisible elle avoue son impuissance à spécifier davantage ? L’infinité du sensible n’est peut-être qu’une complication du défini, c’est-à-dire de l’intelligible, mais c’est une complication rebelle à toute détermination et devant laquelle vient échouer l’intelligence humaine. Bref, entre l’infini et le fini il n’y a de commune mesure que dans certaines limites. Autrement dit, pour qu’il y ait une « philosophie », un effort vers le savoir qui ne soit jamais entièrement ni définitivement satisfait, il faut que toujours de l’infini subsiste comme tel à titre d’irréductible inintelligibilité. Or Platon, en nommant dans le Phèdre le « dialecticien », a