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PHÈDRE


La vraie rhétorique.

III. — Celle-ci, la vraie, Platon l’envisage à trois points de vue : il en détermine les conditions, il en explique la méthode, il en précise l’objet par opposition à la rhétorique actuelle.

A. Il commence par prendre à son compte, pour le moment du moins, une proposition qui n’était sans doute déjà qu’un lieu commun[1], mais il en renouvelle complètement l’esprit par le commentaire qu’il fait ici du mot savoir. Les dons naturels sont assurément indispensables à l’orateur. Mais, comme il va le montrer par l’exemple de Périclès (270 cd[2]), ces dons ne sont rien s’ils ne sont soutenus et consolidés par un savoir authentique et approprié, si l’on ne rencontre en outre le maître capable de réaliser un tel accord, si l’on ne pratique enfin la méthode qui convient à l’usage de ce savoir. N’est-ce pas justement toute la doctrine de l’éducation dans la République ? Elle définit le naturel philosophe, en même temps qu’elle explique comment il se corrompt (VI 485 a-487 a, 489 e-495 c) ; elle indique par quelle sorte d’instruction, d’abord scientifique, proprement philosophique ou dialectique ensuite, et qui est l’instruction donnée par les maîtres de

  1. On la rencontre, à peu de chose près, dans Protagoras (Vorsokratiker ch. 74, B 3) ; sous la même forme qu’ici, dans l’écrit connu sous le nom d’Anonyme de Jamblique et qui est probablement contemporain de la guerre du Péloponnèse (95, 13 sqq. Pistelli = Vorsokr. ch. 82, 1-3 ; dans les Doubles raisons (δισσοὶ λόγοι ou Dialexeïs) 9, 2-4 (chap. 83 des Vorsokr.) ; dans l’écrit hippocratique Sur la loi 2 (IV 638 Littré). Voilà pour le ve siècle ; mais au temps de Platon d’autres que lui l’utilisent également comme un principe, cf. p. cxlvi, cli n. 1 et clxviii.
  2. Il me paraît guère douteux, malgré l’opinion contraire de Burnet, que à 270 a 5 il faille lire, avec les meilleurs mss. et avec Hermias, ἀνοίας, absence d’intelligence, et non διανοίας, pensée discursive (par opposition à l’Intelligence souveraine). Mais il est peu vraisemblable que, comme le voudrait Hermias (244, 15), l’absence d’intelligence désigne la matière, c’est-à-dire le mélange infini des particules, sur laquelle, d’après Anaxagore, agit l’Intelligence. Il y a là, me semble-t-il, une plaisanterie, à la fois sur l’impopularité où finit par tomber l’ami du Nous, c’est-à-dire Périclès, et sur le procès intenté au Nous lui-même, c’est-à-dire à Anaxagore : c’est ainsi qu’ils en sont venus à connaître, l’un comme l’autre, l’envers de l’intelligence, autrement dit l’anoia.