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MÉNEXÈNE

lui qui obéira pleinement au proverbe : il ne montrera ni joie ni douleur excessives, parce qu’il ne se fie qu’à lui-même[1]. Voilà comme nous prétendons, comme nous voulons trouver aussi b les nôtres, et comme ils sont, nous le déclarons ; voilà comme nous nous montrons nous-mêmes aujourd’hui, sans révolte ni crainte excessives s’il nous faut mourir maintenant. Nous demandons donc à nos pères et à nos mères de passer dans ces mêmes dispositions le reste de leur vie, et de savoir que ce ne sont pas leurs plaintes ni leurs gémissements qui nous seront le plus agréables, mais que, s’il reste aux morts quelque sentiment des vivants[2], c ils trouveraient le plus sûr moyen de nous déplaire en se maltraitant eux-mêmes et en se laissant accabler par leurs malheurs, tandis qu’ils ne sauraient mieux nous complaire qu’en les supportant d’un cœur léger et avec mesure. Car notre vie va avoir la plus belle fin qui soit pour des humains, de sorte qu’il convient de la glorifier plutôt que d’en gémir ; et quant à nos femmes et à nos enfants, s’ils prennent soin d’eux, les nourrissent et tournent de ce côté-là leur pensée, ils auront le meilleur moyen d’oublier leur infortune et de mener une vie plus belle, d plus droite et plus conforme à nos désirs.

« Voilà le message qu’il suffit d’adresser de notre part à nos proches ; quant à la cité, nous l’inviterions à prendre soin de nos pères et de nos fils, en élevant décemment les uns, et en nourrissant dignement la vieillesse des autres, si nous ne savions que, même sans cette invitation, elle y veillera comme il faut. »


Exhortations et consolations de l’orateur.

Tel est, fils et parents des morts, le message dont ils e nous ont chargé et que je vous rapporte avec tout le bon vouloir dont je suis capable. À mon tour, je demande en leur nom, aux fils d’imiter leurs pères, aux

  1. De cette doctrine, stoïcienne avant la lettre, rapprocher Républ., 389 de : Celui qui a l’âme bien faite se suffit pleinement à lui-même pour bien vivre… ; il ne s’effraie nullement de perdre un fils ou un frère, ou des richesses, ou tout autre objet de ce genre… Bien loin de se lamenter, il supporte avec la plus grande égalité d’âme un coup semblable. »
  2. Sur cette idée, voir Lois, 927 a.