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EUTHYDÈME

comme on dit, dans tes paroles[1] — comment donc suis-je instruit de cette science que nous cherchions ? Comme apparemment il est impossible au même objet d’être à la fois et de ne pas être, si je sais une chose, je sais tout ; car je ne saurais être en même temps savant et ignorant ; et puisque je sais tout, je possède aussi cette science-là. Est-ce ainsi que tu l’entends, et sont-ce là tes finesses ?

« Toi-même, Socrate, voilà que tu te réfutes[2] », e dit-il.

« Mais toi, Euthydème, repris-je, le même accident ne t’est-il pas arrivé ? C’est qu’avec toi et Dionysodore, cette chère tête[3] que voici, je subirais, pour ma part, n’importe quel sort sans m’en plaindre le moins du monde. Dis-moi, n’y a-t-il pas, vous deux, des choses que vous savez, et d’autres que vous ne savez pas ? »

« Point du tout, Socrate », dit Dionysodore.

« Que voulez-vous dire ? repris-je. Alors, vous ne savez rien ? »

« Si fait », dit-il.

« Par conséquent, 294 dis-je, vous savez tout, puisque vous savez si peu que ce soit ? »

« Tout, dit-il ; et toi de même, si tu sais la moindre chose, tu sais tout.

« Ô Zeus ! dis-je, le bien admirable et précieux qui nous a été révélé, à t’en croire ! serait-ce que tous les autres hommes savent tout, eux aussi, ou ne savent-ils rien ? »

« Ils ne peuvent évidemment, dit-il, avoir telles connaissances à l’exclusion de telles autres, et être à la fois savants et ignorants. »

« Qu’est-ce enfin ? » demandai-je.

« Tous, dit-il, savent toutes choses, s’ils en savent une ».

« Par les dieux ! b dis-je, Dionysodore — je vois bien à présent que vous êtes sérieux, et je vous ai, non sans peine,

    tente de donner à une notion relative une valeur absolue. D’où la réserve formulée par Socrate, qui prévoit le sophisme.

  1. C’est-à-dire : voilà de bonnes nouvelles ! — Socrate se reporte au raisonnement d’Euthydème (« N’es-tu pas forcé de tout savoir, si tu es savant ? »), et en dégage ironiquement la conclusion.
  2. Après avoir dit plus haut : « Il y a beaucoup de choses que j’ignore », Socrate paraît maintenant admettre qu’il sait tout.
  3. Expression homérique, qui a passé dans la tragédie. Cf. Gorgias, 513 c : « ô chère tête », dit Socrate à Calliclès.