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ION

Ion. — Parfaitement.

Socrate. — As-tu donc déjà vu un homme capable, à propos de Polygnote[1], fils d’Aglaophon, de montrer ce qui est bien et mal dans ses peintures, mais incapable de le faire pour les autres peintres ? 533 Et qui, lorsqu’on expose les œuvres des autres peintres, sommeille et reste court, sans trouver aucune idée à exprimer, au lieu que, s’il s’agit de donner son avis sur Polygnote ou tel autre peintre à ton choix, mais sur lui seulement, il est éveillé, devient attentif, et a une foule de choses à dire ?

Ion. — Non, par Zeus ! assurément non.

Socrate. — Et en statuaire ? As-tu déjà vu un homme qui, sur Dédale, fils de Métion, ou Épéios, fils de Panopée, ou Théodore de Samos[2] b ou tout autre sculpteur, mais sur lui seulement, s’entende à expliquer ce qu’il a fait de bien, et sur les œuvres des autres sculpteurs reste court, sommeille, et n’ait rien à dire ?

Ion. — Non, par Zeus ! celui-là non plus, je ne l’ai pas encore vu.

Socrate. — D’ailleurs, à mon avis, ni dans le jeu de la flûte, ni dans celui de la cithare, ni dans le chant accompagné de cithare, ni dans la déclamation du rhapsode, tu n’as jamais vu non plus d’homme qui s’entende à commenter Olympos, ou Thamyras, ou c Orphée, ou Phémios, le rhapsode d’Ithaque[3], et qui sur Ion d’Éphèse reste court, sans pouvoir expliquer ce qui est bien ou non dans sa déclamation.

Ion. — Je ne puis te contredire là-dessus, Socrate ; mais j’ai conscience que sur Homère je parle mieux que personne, j’abonde en idées, et tout le monde reconnaît mon talent de parole, tandis que pour les autres il n’en est rien. Vois pourtant ce que cela signifie.

  1. Peintre fameux, contemporain de Cimon.
  2. Dédale passait pour avoir le premier exécuté des statues avec les yeux ouverts et en mouvement. — Épéios avait construit le fameux cheval de bois. — Théodore l’ancien inventa, dit-on, avec Rhoecos, son père, l’art de couler le bronze et le fer. Sur les œuvres attribuées à Théodore le jeune, voir Hérodote, I, 51 ; III, 41, etc.
  3. Olympos, joueur de flûte phrygien, à qui l’on attribuait la création de la musique intrumentale et l’invention des modes et rythmes propres à l’aulétique. — Thamyras (ou Thamyris), musicien thrace légendaire, fit le premier, dit-on, résonner la cithare