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CRATYLE

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — N’indique-t-il donc pas la possession de la raison (héxis nou), si l’on ôte le t, et si l’on insère o entre le kh et le n, c le n et l’ê[1] ?

Hermogène. — C’est bien laborieux, Socrate !

Socrate. — Bienheureux Hermogène, ignores-tu que les premiers noms établis ont été comme enfouis par ceux qui voulaient leur donner de la pompe ? Ils ont ajouté et retranché des lettres pour l’euphonie ; ils ont tordu les noms dans tous les sens, par désir de les enjoliver comme par l’effet du temps. Ainsi dans katoptron (miroir) ne trouves-tu pas bizarre l’introduction du r[2] ? Mais de tels procédés, selon moi, sont l’œuvre des gens qui, sans aucun souci d de la vérité, travaillent à façonner l’articulation ; à force d’ajouter aux noms primitifs, ils font si bien, finalement, qu’aucune créature humaine ne serait en état de comprendre ce que le mot peut bien signifier. Par exemple pour la Sphinx, au lieu de phix[3] ils disent sphinx, et de même pour beaucoup d’autres noms.

Hermogène. — C’est bien la vérité, Socrate.

Socrate. — Mais qu’on permette d’ajouter aux noms et d’en ôter ce qu’on veut, alors on éprouvera une grande facilité, et n’importe quel nom pourra s’ajuster à n’importe quel objet.

Hermogène. — e Tu as raison.

Socrate. — J’ai raison, à coup sûr. Mais c’est à la mesure, je crois, et à la vraisemblance qu’il te faut veiller, en sage président.

Hermogène. — Je le voudrais.

Socrate. — Et moi, je le veux avec toi, Hermogène. Mais ne sois pas trop pointilleux, 415 mon divin ami,

pour ne pas énerver mon ardeur[4] ;
  1. De manière à transformer τέχνη en ἐχονόη.
  2. La forme primitive devait être, suivant Socrate, κάτοπτον. Le ρ est considéré par lui comme une addition superflue et une altération : il ne reconnaît pas ici le suffixe -τρο- qui sert, dans les noms neutres de ce genre, à marquer l’instrument.
  3. La Théogonie hésiodique parle (v. 326) de « Phix la pernicieuse », fille d’Orthos et d’Echidna, dont on plaçait le séjour en Béotie sur le mont Phikion. Plus tard elle fut confondue avec la Sphinx.
  4. Iliade, VI, 264-5. Hector dit à sa mère, qui veut lui apporter à