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INTRODUCTION

maîtres et esclaves, hommes et animaux, tous sont égaux, ou plutôt enfants, esclaves et bêtes suivent leur seul caprice et soumettent tout et tous à leur seul caprice. Plus de lois qui comptent, écrites ou non écrites ; plus de maître (563 d). Dans ce désordre universel, ce sont les plus remuants et les plus hardis qui profitent. Ils déclament à la tribune, un cercle de vauriens bourdonnent alentour, étouffant toute voix adverse : leurs décrets sont votés. Que décrètent-ils ? Naturellement, de prendre à ceux qui ont pour donner à ceux qui n’ont pas, et qui sont le grand nombre. Les riches se plaignent, protestent, crient ; les bourdons les accusent de comploter et trompent facilement le peuple ; quand les riches, à la fin, en viennent à faire ce dont on les accusait et se défendent par tous les moyens possibles, le peuple se tourne vers les bourdons à aiguillon pour en faire ses chefs et ses protecteurs. Le plus violent d’entre eux ou le plus rusé accapare la défense du peuple, accuse, bannit ou tue les riches, abolit les dettes, partage les terres. Chassé, il revient plus fort. Menacé par les conspirations, il obtient une garde. Les riches émigrent, le peuple exulte, le tyran s’installe (566 d).

Il est d’abord tout sourires, promesses, largesses. Mais, lui qui a commencé par faire sa paix avec les ennemis du dehors pour avoir les mains libres, sent bientôt le besoin d’occuper le peuple, de perpétuer son rôle de sauveur, de se débarrasser des gens qui le gênent le plus, et, pour cela, suscite guerre après guerre. Ceux qui l’ont élevé au pouvoir s’épouvantent ou s’indignent, il s’en débarrasse ainsi que de toutes gens de valeur, qui le gênent, et pratique l’épuration à rebours. Il s’entoure de mercenaires, ramassis de tous pays, et d’esclaves qu’il affranchit. Voilà sa cour. N’a-t-il pas aussi ses panégyristes, les poètes tragiques, eux qui reçoivent de lui d’abord, de la démocratie ensuite, honneurs et largesses, et que nous eûmes raison de bannir de notre cité comme de toute cité qui lui ressemble plus ou moins ? Ce coup de boutoir jeté en passant, pour nous garder en éveil et préparer l’assaut final contre les poètes, Platon continue : cette garde, il faut la nourrir, et piller les temples ne suffit bientôt plus ; le tyran pressurera donc le peuple, ce peuple qui l’a fait et qui s’aperçoit trop tard qu’il est passé de la licence à l’esclavage le plus amer. Telle est la genèse, telles sont les mœurs de la tyrannie (569 c).