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INTRODUCTION

hommes, et condamné par son pouvoir même à s’enfoncer de plus en plus dans sa méchanceté. Dans l’échelle des cinq caractères, royal, timocratique, oligarchique, démocratique, tyrannique, n’hésitons pas à dire que le bonheur va décroissant comme l’excellence (580 c).

Aux trois parties que nous avons distinguées dans l’âme individuelle correspondent trois espèces de plaisirs : pour l’âme raisonnable, le plaisir de la pensée ; pour l’âme irascible, celui de la domination ; pour l’âme concupiscible, celui de la jouissance. Mais nous avons vu que le domaine des désirs et de la jouissance était très divers ; si nous voulons rassembler cette diversité sous un seul nom, nous nous rappellerons que toutes ces jouissances s’achètent et que l’argent est leur commun instrument. Nous adopterons donc comme plaisirs fondamentaux la pensée, la domination, l’argent. Entre ces trois plaisirs, qui sera juge ? L’homme qui aura le plus d’expérience, de sagesse, de raisonnement. Sera-ce l’homme qui résume toutes les cupidités, l’homme d’argent ? Sera-ce l’ambitieux ? Ni l’un ni l’autre ne raisonne aussi sûrement que le philosophe, dont c’est le métier. Ni l’un ni l’autre n’a cultivé autant que lui la sagesse. Mais ne l’emportent-ils pas par l’expérience ? Non : le philosophe a goûté, par nécessité, à l’argent, aux honneurs mêmes et à l’estime des hommes, il peut en juger comme les autres, alors que son plaisir à lui, celui de contempler la nature même de l’être, les autres ne le connaîtront jamais. C’est donc à lui d’estimer et de classer les valeurs, et nous devons les classer comme lui : en haut, son plaisir à lui, puis celui de l’ambitieux et, en dernier lieu seulement, celui de l’homme cupide (583 a).

Le plaisir du philosophe n’est pas seulement le plus excellent : il est le seul vrai plaisir. Celui des autres, en effet, n’est ni vrai ni pur : il n’est qu’un trompe-l’œil, comme les peintures du théâtre. Socrate affirme cela, non de lui-même, mais sur la vague autorité de quelque sage. Pourquoi ? Parce que nous entrons ici dans des considérations d’un autre ordre que les précédentes, dans des questions d’école, et Socrate s’excuse ainsi de son apparent pédantisme. Mais devons-nous chercher à donner un nom à ce sage ou à ces sages ? Que le plaisir du sage soit le seul vrai, cela n’est-il pas déjà l’enseignement du Gorgias comme celui du Phédon ? Socrate nous