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INTRODUCTION

la République. Mais l’un de ces auditeurs de la conversation d’hier est absent aujourd’hui, et nos imaginations de courir : toutes les thèses trouvent un nom ou un emploi pour cet anonyme. Platon n’aurait-il pas voulu cela : laisser nos imaginations courir ?


Le Busiris.

On compte sur le Busiris d’Isocrate[1] pour mieux assurer l’existence et le contenu de cette République première façon.

Pour faire pièce à Polycrate, auteur d’une apologie de Busiris, Isocrate lui montre comment il aurait dû louer, plutôt que défendre, le fabuleux roi de l’antique Égypte. Il fait donc de celui-ci un fondateur et un organisateur, nous conte (15) comment il divisa son peuple en classes séparées, prêtres, artisans et guerriers, combien (16) une pareille division du travail est utile, combien, par suite (17), les Égyptiens ont acquis de renommée dans tous les arts et trouvé de bienfaits dans leur constitution, tellement « que les philosophes les plus fameux parmi ceux qui entreprirent de parler de tels sujets louent délibérément la constitution égyptienne, et que les Lacédémoniens n’ont un si excellent gouvernement que parce qu’ils l’ont réglé en partie sur ce modèle ». Interdiction (18) de voyager sans l’aveu des autorités, repas publics, exercices physiques, participation de tous les citoyens, pauvres ou riches, au gouvernement, tous autres métiers leur étant étrangers, tout cela leur est, en effet, venu de là, mais (19) ils n’en ont profité que pour militariser toute leur vie et ne rêver que violence et conquêtes, alors que les Égyptiens sont si loin et de cette négligence de leurs propres affaires et de cet esprit de rapine ! Ce qui montre la différence des deux systèmes, c’est (20) que celui des Lacédémoniens généralisé ruinerait tous les Grecs par la disette et par la guerre mutuelle, et celui des Égyptiens, mettant les uns au travail, les autres à la défense commune, assurerait le bonheur de tous. Busiris a d’ailleurs (21) favorisé la sagesse en procurant aux prêtres l’aisance, la vie réglée, le loisir, dont ceux-ci ont profité (22) pour inventer une médecine sûre et bienfaisante, et fonder la philosophie, qui crée les lois et cherche la nature des choses. Il confia (28) aux hommes d’âge les charges les plus hautes, appliquant les jeunes à l’étude des astres, aux calculs, à la géométrie, dont tout le monde célèbre, soit les utilités diverses, soit l’heureuse influence sur la vertu… Il y aurait encore (28) beaucoup à dire sur la piété des Égyptiens, que, parmi tant d’autres, a célébrée Pythagore. Il les visita, il fut leur disciple, rapporta de chez eux en Grèce la philoso-

  1. Sur ce discours, voir la notice de G. Mathieu dans Mathieu-Brémond, Isocrate, Discours, I, Paris, 1928, p. 183/5.