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INTRODUCTION

dans cette vision rétrospective, le regard qu’il prolonge jusqu’aux premières origines, puis de là au progrès et enfin à la conception exacte de sa tâche réformatrice, ce regard peut-il s’arrêter aux détails précis des dates et des synchronismes ? Platon ressaisit et parcourt à nouveau le grand drame de sa pensée, se voit, dès les premières années qui suivirent la mort de Socrate, de plus en plus travaillé par la lutte entre sa volonté d’agir et l’évidente impossibilité d’action immédiate, puis prenant peu à peu conscience du bouleversement qu’il faudrait apporter dans la société pour l’orienter vers le Bien. Un jour, cette conscience est devenue plus claire : la formule de salut est apparue, décisive. Cette formule, Platon la garde en son cœur, depuis longtemps, fixée naturellement dans les termes où elle s’est précisée quand il écrivit son œuvre maîtresse. Cette œuvre est là, sous sa main probablement, en tout cas toujours vivante dans sa pensée. Il cite la formule telle qu’elle s’est ainsi écrite et fixée, ou plutôt il la projette, ainsi écrite et fixée, jusqu’en ce moment révélateur où elle était encore dans toute sa chaleur de fusion. Une telle « citation » n’a rien d’un témoignage sur une date, sur le synchronisme d’une publication et d’un voyage. Elle est un témoignage sur une vie, sur la vie d’une pensée avide de se répandre et de se réaliser. Elle ne nous contraint pas de croire que Platon avait écrit ou le tout ou la plus grosse moitié de sa République avant son premier voyage en Sicile.

Mais elle ne nous empêche pas de croire que Platon avait commencé sa République dès avant cette date : nous qui acceptons la jeunesse stylistique du Livre I, mais n’avons pas la prétention de compter combien de pages Platon écrivit chaque année ou combien de pages avait un de ses dialogues aujourd’hui perdu, nous disons simplement que le plan de la République a pu, a dû être conçu, et sa mise en œuvre commencée avant 388. On l’a dit souvent : la République ne s’est pas écrite en un jour. Elle regarde en arrière, non seulement vers le Gorgias, mais vers l’Euthydème et le Cratyle, vers le Phédon et le Banquet. Elle est toute penchée vers le Phèdre. Elle est pleine de pensées et d’images qui vont mûrir dans le Parménide, le Théétète, le Sophiste, le Philèbe, le Timée. Elle est l’œuvre centrale, celle où se fait la synthèse du passé et de l’avenir de cette pensée toujours mouvante et toujours une. Ses Livres VIII et IX sont un discours sur l’histoire