Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
363 e
58
LA RÉPUBLIQUE

comme le partage des justes qui passent pour méchants, ils les appliquent aux méchants ; ils n’en ont pas inventé d’autres. Telle est leur manière de louer la justice et de blâmer l’injustice.


VII  Outre cette conception de la justice et de l’injustice, je vais t’en soumettre une autre, Socrate, que j’emprunte au peuple et aux poètes. 364On les entend tous célébrer tout d’une voix la beauté de la tempérance et de la justice ; mais ils se plaignent qu’elles soient difficiles et pénibles, tandis que l’intempérance et l’injustice sont agréables et d’accès facile, honnies seulement par l’opinion et la loi. À les entendre, l’injustice est généralement plus avantageuse que la justice, et ils sont tout disposés à regarder comme heureux et à honorer en public et en particulier les méchants qui sont riches ou puissants de quelque autre manière, et à mépriser bet traiter de haut les bons qui sont faibles et pauvres, tout en reconnaissant qu’ils sont meilleurs que les autres. Mais de tous ces propos les plus étranges sont ceux qu’ils tiennent sur les dieux et sur la vertu. Les dieux mêmes, disent-ils, ont souvent réservé aux hommes vertueux l’infortune et une vie misérable, tandis qu’aux méchants ils accordaient le sort contraire. De leur côté, des prêtres mendiants et des devins viennent à la porte des riches[1] et leur persuadent qu’ils ont obtenu des dieux, par des sacrifices et des incantations, cle pouvoir de réparer au moyen de jeux et de fêtes les crimes qu’un homme ou ses ancêtres ont pu commettre. Veut-on faire du mal à un ennemi, ils s’engagent pour une légère rétribution à nuire à l’homme de bien tout comme au méchant par des évocations et des liens magiques, car, à les entendre, ils persuadent les dieux de se mettre à leur service. Ils appuient toutes ces prétentions du témoignage des poètes. Certains accordent au vice l’avantage de la facilité.

On peut facilement, même en foule, arriver au vice, car la voie

  1. Par cette expression demi proverbiale « viennent à la porte des riches » Platon stigmatise l’avarice des devins et prêtres mendiants. Il a exprimé son mépris pour la mantique en général dans l’Eutyphron ; son attaque ici vise particulièrement les Orphéotélestes ou frères orphiques. On peut voir dans Démosthènes Pro Cor., § 228 et suiv. les cérémonies qu’ils pratiquaient.