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LA RÉPUBLIQUE

doux que possible pour les habitués de la maison et les gens qu’ils connaissent, et le contraire pour ceux qu’ils ne connaissent pas ?

Je le sais, assurément.

La chose, repris-je, est donc possible, et nous n’allons pas à l’encontre de la nature en cherchant un gardien de ce caractère.

Il ne le semble pas.


XVI  Ne te semble-t-il pas qu’il manque encore quelque chose à notre homme pour être un bon gardien ? c’est d’avoir, avec l’humeur colère, l’instinct philosophique[1].

376Comment ? dit-il : je ne conçois pas.

Cet instinct, repris-je, tu le remarqueras aussi chez le chien, et c’est une chose digne d’admiration dans un animal.

En quoi consiste cet instinct ?

C’est que le chien grogne à la vue d’un inconnu, bien qu’il n’en ait reçu aucun mal, tandis que, s’il voit un homme de sa connaissance, il le flatte, quoiqu’il n’en ait reçu aucun bien. Cela ne t’a jamais frappé ?

Je n’y ai pas fait beaucoup d’attention jusqu’ici, répondit-il ; mais il est clair que le chien se conduit comme tu dis.

Et il faut avouer qu’il manifeste par là un naturel heureux et bvraiment philosophe.

Comment ?

C’est que, repris-je, le seul moyen par lequel il distingue une figure amie ou ennemie, c’est qu’il connaît l’une et ne connaît pas l’autre. Or comment n’avoir pas le désir d’apprendre, quand c’est la connaissance et l’ignorance qui font discerner l’ami de l’étranger ?

Il n’en peut être autrement, répondit-il.

  1. On a voulu voir ici une allusion aux Cyniques. Cf. Schol. in Arist. éd. Brandis (Berlin, 1836) 23b 16 et sqq. : « La quatrième cause (pour laquelle on les a appelés Cyniques), c’est que le chien est un animal doué de discernement, qui distingue l’ami de l’étranger par la connaissance ou l’ignorance qu’il en a ; car celui qu’il reconnaît, il le regarde comme un ami, portât-il un bâton, celui qu’il ne connaît pas, comme un ennemi, lui présentât-il un appât. Pareillement les Cyniques regardaient comme amis ceux qu’ils jugeaient propres à la philosophie et ils leur faisaient bon accueil ;