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LA RÉPUBLIQUE

plus ils sont poétiques, moins ils conviennent aux oreilles d’enfants et d’hommes qui doivent vivre libres et redouter l’esclavage plus que la mort.

C’est tout à fait mon avis.


Interdiction
de représenter
des héros gémissant
ou riant.

II  Il faut donc rejeter aussi tous les noms qu’on applique à cet autre monde, ces noms terribles et formidables de Cocyte, de Styx, de mânes, de spectres cet tous les noms du même genre qui font frissonner [de tous leurs membres[1]] ceux qui les entendent prononcer. Leur emploi se justifie peut-être à un autre point de vue ; mais nous craignons pour nos gardiens qu’un tel frisson ne les énerve et ne les amollisse plus qu’il ne convient.

Et notre crainte, dit-il, n’est pas sans fondement.

Il faut donc retrancher ces noms ?

Oui.

Et les remplacer dans la conversation, comme dans la poésie, par des noms formés dans un esprit tout opposé ?

Évidemment.

dNous retrancherons aussi naturellement les plaintes et les lamentations qu’on met dans la bouche des grands hommes ?

Il le faut, dit-il, si nous sommes conséquents.

Voyons auparavant, dis-je, si la raison nous autorise ou non à faire ce retranchement. Nous admettons bien qu’un homme sage ne regardera pas la mort comme une chose terrible pour un autre sage qui est son ami.

Nous l’admettons en effet.

Il ne gémira donc pas sur lui, comme s’il était victime d’un accident terrible.

Non, certes.

Mais nous soutenons aussi que, s’il est un homme qui se suffise à lui-même pour être heureux, c’est le sage, et qu’il est celui de tous les hommes equi a le moins besoin d’autrui.

  1. Les mots entre crochets sont l’équivalent de ὡς οἷόν τε ; autant qu’il est possible. Mais ὡς οἷόν τε, leçon du Monacensis, est une correction. A et F portent ὡς οἴεται, qui n’a pas de sens. Hertz a conjecturé que c’était une glose mise en marge du texte par un lecteur chrétien : « comme Platon se l’imagine. » Lui, chrétien, n’a garde de frissonner à de tels récits.